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transcendantal, mais réaliste anté-critique, naïf, et optimiste trivial. Ce qu’il conserve de Schopenhauer, c’est avant tout le matérialisme, et encore dans le sens anté-darwinien ; puis un pâle idéalisme objectif, en ce que par des formes idéales, qui lui sont immanentes, la matière arrive à se former en espèces et genres déterminés ; et enfin un soi-disant pessimisme d’indignation morale, qui représente une hideuse variété du pessimisme philosophique purement contemplatif. Dühring a aussi bien que Lange des points de contact avec le positivisme et le sensualisme français, mais non avec le néo-kantisme. Il en a aussi avec la mordante négativité de l’école de Feuerbach, qui influe d’une manière peu agréable sur son style. On aurait à peine la pensée de ranger Dühring dans l’école de Schopenhauer, s’il ne s’accordait avec elle par son aversion et son peu d’estime pour les autres philosophes postérieurs à Kant, élevant sur le pavois Schopenhauer comme le seul véritable philosophe de ce siècle.

Noiré se dit expressément disciple de Schopenhauer, quoiqu’il dérive la volonté de quelque chose d’autre, de la sensation. Son principe du monde est la matière avec les deux propriétés de la sensation et du mouvement, et même la matière avec sa division atomistique ; sa loi du monde est une causalité mécanique, ennemie de toute téléologie ; sa théorie de la connaissance repose sur ceci que l’espace et le temps sont inhérents à la sensibilité et au mouvement, représentant donc en soi des réalités, et pour nous des abstractions. C’est ainsi que au point de vue de la théorie de la connaissance il est du côté de Dühring contre Lange, quoiqu’il soit d’une manière incompréhensible, enthousiaste de Kant ; par contre, il accepte avec Lange contre Dühring les essais darwiniens, pour dépouiller la théologie du monde de son caractère téléologique par des explications mécaniques. Si pour Lange la matière n’est à vrai dire qu’une apparence subjective, si pour Dühring au contraire elle est le principe d’où naît l’esprit par voie purement mécanique, Noiré se trouve lacé entre les deux, en ce que pour lui la matière est le principe moniste, qui primitivement se fait connaître autant par la sensibilité intérieure que par le mouvement extérieur. Le point où il se place est d’après cela un matérialisme, il est vrai, mais un matérialisme hylozoïste, tel qu’il est aussi représenté par Hæckel ; seulement il est malheureux que la matière, douée de sensibilité et de mouvement, soit d’une part une idée qui n’en est pas une, et que d’autre part elle ne soit pas en état de réunir le dualisme de la sensibilité intérieure et du mouvement extérieur en une véritable unité. Si Noiré était un vrai disciple de Schopenhauer, il aurait, comme avant lui