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ditions que nous avons reconnues suffisantes pour déterminer la forme d’un corps extérieur.

Telle est l’hypothèse que l’on sera naturellement porté à adopter, si l’on admet que c’est par rapport à nous que nous localisons nos perceptions. Nous avons vu qu’elle s’accorde assez bien avec les faits : il est certain que, dans un certain nombre de cas, c’est bien de ce procédé que nous nous servons. Mais reste à savoir si c’est celui que nous employons le plus souvent, s’il est suffisamment simple, et si nous pouvons le regarder comme primitif. Or il me semble difficile d’admettre que ce soit par de telles opérations que nous apprenions à localiser nos perceptions.

Considérons d’abord la connaissance que nous devrions avoir de l’éloignement des objets, connaissance que l’on regarde comme primitive dans la théorie que nous venons d’exposer. Un objet est placé devant mes yeux, à une certaine distance ; cette distance, je puis la mesurer du premier coup d’œil avec une approximation suffisante ; mais comment ai-je appris à la mesurer ? Ai-je immédiatement conscience de la longueur du rayon lumineux qui va de l’objet à mon œil ? Évidemment non. Je ne connais ce rayon que par les sensations qu’il me donne, et il ne me donne de sensations qu’à l’instant où il frappe ma rétine ; autrement dit, je n’en sens que l’extrémité. Qu’il me vienne d’une bougie placée à quelques pieds de moi ou d’un astre situé à des millions de lieues, la sensation finale qu’il me donnera sera toujours la même ; ce ne sera jamais que la sensation d’un point lumineux ; et il me serait aussi difficile, d’après cette sensation, d’apprécier la longueur de son trajet, que de mesurer la longueur d’une épée en en tâtant la pointe. Aucun des points lumineux qui composent l’image de l’objet n’étant vu à distance et ne pouvant me donner la notion de profondeur, il est évident que rien, dans l’image totale, ne peut me donner conscience de l’éloignement de l’objet. Quant à la grandeur ou à la netteté des images visuelles, ce sont sans doute des signes dont je me sers actuellement pour apprécier les distances ; mais ce ne sont évidemment pour moi des signes que parce que j’ai déjà appris, dans l’usage de la perception, à tenir compte des effets de la perspective linéaire et de la perspective aérienne : on m’accordera immédiatement, sans même en exiger la démonstration, que, loin de pouvoir me donner par eux-mêmes la connaissance des distances, ils la supposent et en tirent toute leur valeur. Restent les indications que je pourrais tirer des changements d’accommodation de l’œil. Mais, si je considère en elles-mêmes les sensations musculaires qui correspondent à ces changements, je n’y trouve rien qui puisse m’indiquer que l’objet perçu est plus ou