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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

n’ont guère traité que de l’évaluation des distances ou de l’acquisition de l’idée de profondeur.

Nous ne devons pourtant pas rejeter sans examen une hypothèse qui jouit d’un tel crédit philosophique. Pour s’être fait ainsi accepter de la plupart des psychologues, pour s’être imposée avec tant de force à leur esprit, il faut qu’elle ait quelque valeur ou présente du moins quelque apparence de vérité. Essayons donc de l’exposer avec le plus de clarté possible, et cherchons si, formulée plus nettement, elle paraîtra plus vraisemblable.

Soit un polygone quelconque, par exemple le triangle ABC, et un point O situé en dehors de ce triangle. Du point O aux points A, B, C, je mène les lignes OA, OB, OC. Si je connais la longueur de ces lignes et l’angle qu’elles font entre elles, il est évident que je pourrai déterminer exactement la grandeur du triangle ABC, la longueur de ses côtés, la valeur de ses angles, en un mot tous ses éléments géométriques ; il me suffira pour cela d’un simple travail de triangulation. Cet exemple nous montre comment je pourrais percevoir exactement la forme d’un corps extérieur, en localisant par rapport à moi ses diverses parties. Supposons en effet que je sois placé au point O, et que le triangle ABC représente l’objet à percevoir ; il est clair que, si je sais dans quelle direction et à quelle distance se trouvent les points A, B et C, je saurai par là même quelle est la forme et la position du triangle qu’ils déterminent. — L’hypothèse que nous avons à examiner est donc à tout le moins possible ; elle est séduisante par sa simplicité géométrique ; et même l’étude du mécanisme de la perception semble la confirmer. Quand nous palpons un objet avec la main, nous replions plus ou moins nos doigts pour en mettre l’extrémité en contact avec les diverses parties de l’objet, et nous les écartons plus ou moins les uns des autres : ce qui nous donne des longueurs et des angles, à l’aide desquels nous pouvons reconstruire mentalement la forme générale du corps. Si l’objet à percevoir est de grande dimension, nous nous servirons, pour le palper, de nos bras, dont nous pourrons encore apprécier l’écartement et l’extension. Enfin, si l’objet est trop éloigné pour être touché, notre vue seule nous permettra d’en déterminer la forme réelle par un travail de triangulation analogue. Nous parcourrons du regard le points importants de l’objet, en nous rendant compte des mouvements de notre œil. Nous apprécierons l’éloignement de chacun de ces points par l’effort d’accommodation que nous serons obligés de aire pour le percevoir distinctement ; et ainsi nous saurons à la fois quel est l’angle que font entre elles les différentes lignes de visée, et quelle est leur longueur relative : ce qui nous met bien dans les con-