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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

sations diverses des positions différentes ; mais cette différence est encore absolument indéterminée. Je sais bien que mes sensations, ou, ce qui revient au même, que les diverses parties de l’objet occupent une certaine étendue ; mais je ne sais pas encore dans quel ordre elles y sont réparties : ce qui est pourtant indispensable pour percevoir la forme de l’objet. — Cette nouvelle connaissance m’est donnée par les mouvements que j’exécute en palpant l’objet. Quand j’aurai constaté que je ne puis aller du point tangible A au point tangible C sans passer par le point B, je saurai que B est situé entre A et C ; et cette connaissance ne sera pas induite, mais immédiate. Je n’aurai pas besoin de me dire que, si dans le trajet de A à C je dois toujours passer par le point B, il faut que ce point soit situé entre les deux autres. L’ordre dans lequel je perçois ces points ne m’indique pas seulement leur position, il me la donne, car ce que j’appelle la position relative de ces points, c’est justement leur ordre de perception. J’arriverai ainsi, par une série d’expériences, à ordonner les unes par rapport aux autres les diverses parties de l’objet, et par conséquent à en percevoir la forme.

Dans cette théorie que nous venons de donner de la localisation des perceptions, nous ne nous sommes pas occupés spécialement de la localisation en profondeur. Pourquoi en effet serions-nous obligés d’en tenir un compte particulier ? Du moment que nous localisons les objets, non d’après la position qu’ils occupent par rapport à nous, mais d’après leur position réciproque, la notion de profondeur n’est pas plus importante que celle de hauteur ou de largeur, et n’est pas plus difficile à expliquer. Les organes de la perception, pouvant se mouvoir également dans tous les sens, nous permettent de localiser nos sensations dans un sens aussi bien que dans l’autre.

Pour ce qui est du toucher en particulier, il est clair que la difficulté n’existe pas. Quand je meus ma main de droite à gauche, je perçois la largeur des objets ; quand je la meus de haut en bas, je perçois leur hauteur ; quand je la meus d’arrière en avant, quand je l’éloigne ou la rapproche de moi, je perçois leurs dimensions en profondeur. Alors même que toutes nos perceptions partiraient d’un même point du corps, mes sens me permettraient d’évaluer la troisième dimension de l’espace, car le corps peut se déplacer, et, quand je tourne autour d’un objet, la même dimension, qui tout à l’heure était pour moi une profondeur, devient maintenant une largeur. Mais, comme notre sensibilité est répartie sur plusieurs points de notre organisme, nous avons en réalité plusieurs centres de perception ; en sorte que nous pouvons percevoir à la fois les trois dimensions de l’espace, ou plutôt encore que cette distinction des trois