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dimensions, qui a sa raison d’être en géométrie, n’a psychologiquement aucune importance.

Ce que nous venons de dire pour le toucher s’appliquerait tout aussi bien à la vue, car les deux sens fonctionnent de même ; les sensations qu’ils nous donnent, si différentes qu’elles soient en qualité, ont exactement la même valeur au point de vue de la perception. En effet, ce qui importe pour la perception, ce n’est pas la qualité de nos sensations, mais l’ordre dans lequel elles sont disposées ; or l’ordre de nos sensations, étant déterminé par la structure réelle de l’objet, sera le même, qu’il s’agisse de sensations visuelles ou de sensations tactiles. Quand je promène mon doigt sur un objet rugueux, j’éprouve une sensation de résistance chaque fois que mon doigt arrive en contact avec une des saillies de l’objet ; si, au lieu de le palper, je le regarde, ces mêmes saillies me donneront une sensation de couleur ou de luminosité particulière ; et la série de ces sensations de luminosité correspondra exactement à la série des sensations de résistance. Entre les deux manières de percevoir, il y a donc une complète analogie.

Comme la localisation des perceptions tactiles se fait par les mouvements de la main, la localisation des perceptions visuelles se fait par les mouvements de l’œil. Faute de tenir compte de ces mouvements, il sera absolument impossible d’expliquer comment nous pouvons percevoir la forme des objets visibles. Essayons en effet de bien nous rendre compte de la difficulté du problème. Un objet lumineux projette son image sur la rétine. Comme cette image représente assez fidèlement l’objet, comme l’ordre dans lequel sont disposés ses différents points correspond assez exactement à l’ordre dans lequel sont disposés les points homologues de l’objet, on peut s’imaginer que la perception visuelle est expliquée. Mais rien n’est expliqué réellement. Car cette image projetée sur la rétine est quelque chose de physique, de matériel ; ce n’est pas d’elle que nous avons conscience, mais des sensations qu’elle nous donne. Aussi, en montrant que l’image rétinienne a une forme bien déterminée et correspondante à celle de l’objet on n’explique nullement comment les sensations qu’elle nous donne peuvent nous indiquer la forme de cette image. Admettrons-nous qu’à priori, instinctivement, nous avons conscience de l’ordre dans lequel sont disposées les diverses fibres nerveuses dont se compose la rétine, en sorte qu’il nous suffirait de savoir quelle est celle de ces fibres qui est excitée pour savoir où s’est faite l’impression ? Cela reviendrait à affirmer que la localisation des sensations visuelles est innée, c’est-à-dire, en fin de compte, à se dispenser d’en donner une explication. — Mais, si nous tenons compte des divers mouvements de