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pas petit plus tôt qu’un autre, qui hésite plus tôt qu’un autre, qui semble trébucher plus tôt et plus souvent qu’un autre, nous pensons naturellement qu’il est plus défiant, plus inquiet, plus indécis ; nous estimons même ou nous nous imaginons qu’il est plus triste. Et, rien qu’à le voir, nous lui devenons analogues, c’est-à-dire défiants, inquiets, indécis, voire mélancoliques ou même tristes.

Mais, que l’on veuille le remarquer, la voix, elle aussi, est quelque chose qui marche, en avançant pas à pas, sur une route bien tracée, tantôt en montant, tantôt en descendant, tantôt droit devant soi sans monter ni descendre. La voix est sans contredit le mouvement d’un être ; plus exactement, c’est un être qui se meut. Mais quelle espèce d’être est-ce là et de quel mouvement se meut-il ? Au vrai, c’est un être sonore se mouvant de ce mouvement particulier que nous sentons sous la forme de la sonorité. Chacun de nos organes de relation nous fait sentir le mouvement sous une forme distincte. Le mouvement est senti par le goût comme saveur, par l’odorat comme odeur, par le toucher comme résistance ou température, par l’œil comme couleur, par l’ouïe comme son. Ne parlons que des deux derniers organes, les seuls qui appartiennent à la faculté esthétique. Ils nous apportent l’un et l’autre la connaissance de mouvements qui sont des signes de vies ou tout au moins d’existences extérieures. Les mouvements visibles mais silencieux sont assurément des signes de vie ; et plus ils sont rapides, plus ils signifient l’activité et la vie. Toutefois, comparez-les avec les mouvements sonores, vous serez forcé d’avouer que, toutes choses égales d’ailleurs, un mouvement sonore est beaucoup plus expressif de la vie, de son activité, de ses passions, qu’un mouvement seulement visible ; que le mouvement sonore a sur notre sensibilité une prise bien plus grande et que les degrés, les nuances, les variations du mouvement sonore sont sentis plus vivement que les mouvements perçus par l’œil.

Je dis premièrement que, si le mouvement qui n’est que visible exprime la vie, le mouvement sonore l’exprime avec une énergie plus grande. Observons les faits. Où s’exprime le plus la vie du rossignol, est-ce dans la vitesse de son vol ou dans les trilles vibrants de ses vocalises amoureuses ? Un seul rugissement du lion n’en dit-li pas plus encore que sa marche ou sa course ? Un muet qui chemine d’un pied solide et prompt nous apprend infiniment moins de lui-même qu’un paralytique immobile, mais qui parle.

En second lieu, je dis que le mouvement sonore a sur notre sensibilité tant physique que morale une action plus étendue, une prise plus grande que le mouvement visible, de telle sorte que nous percevons avec plus de délicatesse les nuances de la sonorité et qu’elles