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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

ties de mon corps me donnent par leur contact deux sensations différentes, comme lorsque je pose ma main sur ma tête ; et, d’autre part, un objet extérieur peut très bien me donner deux sensations proportionnelles et pour ainsi dire réciproques, comme lorsque je serre une planche entre mes mains ou une feuille de papier entre le pouce et l’index.

Il ne suffit pas d’ailleurs de signaler une particularité quelconque dans les sensations que nous donne la perception de notre corps. Quand nous aurions montré qu’elles se distinguent de toutes les autres par certain caractère, il resterait à expliquer comment ce caractère peut nous indiquer leur provenance ; et pour cela on serait forcé d’admettre qu’avant d’avoir jamais senti notre corps nous savions déjà quelles sensations il devait nous donner. La particularité que nous cherchons doit donc être d’une nature spéciale : la perception du corps doit se composer de sensations telles, que je ne puisse les éprouver sans que le corps senti m’apparaisse aussitôt comme mien.

Ce qu’il y a de vraiment caractéristique dans le phénomène dit de la double sensation, ce n’est pas que nos sensations forment un couple, mais que ce couple soit toujours formé d’une sensation objective et d’une sensation subjective, ou en d’autres termes d’une perception et d’une sensation. Lorsque je me palpe la tête avec la main, ma main, dont les sensations sont très différenciées, perçoit ma tête comme un objet extérieur quelconque, une boule ou une pelote de laine ; mais ma tête, dont la sensibilité est très confuse, ne perçoit pas ma main : elle me donne simplement des sensations subjectives. — En général, quand deux organes inégalement sensibles se mettent en contact, le plus sensible perçoit l’autre comme un objet ; le moins sensible ne sent que ses propres modifications. Le plus souvent même, la partie la moins sensible ne me donne qu’une simple sensation de température. — Si deux parties de sensibilité égale, mais inégalement chaudes, se touchent, comme lorsque j’applique une de mes mains préalablement réchauffée sur l’autre préalablement refroidie, c’est la partie la plus chaude qui est la plus sensible et qui par conséquent perçoit l’autre ; dans ce cas, en effet, on peut remarquer que la seule sensation dont nous ayons conscience est celle du refroidissement. — Mais, quand bien même mes deux mains auraient même température, l’une sera toujours plus active que l’autre la droite si je suis droitier ; la gauche si je suis gaucher ; celle qui en ce moment se déplace pour atteindre l’autre si d’ordinaire je me sers également des deux mains : et ce sera celle-là qui explorera l’autre. Ainsi, dans le contact que j’établis entre deux par-