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Or cela est loin d’être aussi simple qu’il le paraît, et les avis peuvent être là-dessus très différents. Devra-t-on, par exemple, faire entrer dans ce cadre et compter parmi les arts principaux la mimique ou la pantomime, dont fait partie l’art chorégraphique ou la danse, comme le pensent des esthéticiens distingués, qui hautement réclament en sa faveur (M. Schasler, Köstlin) ? ou doit-on les tenir pour des arts accessoires et à ce titre les exclure ? Ce n’est pas tout, si d’autres arts, l’art des jardins par exemple, ne méritent pas d’avoir une place à part et d’occuper un rang aussi élevé, si la mimique elle-même et l’art chorégraphique doivent renoncer à une telle prétention, à quel art principal doivent-ils être annexés ? La danse n’est-elle, comme on l’a définie, qu’une sculpture en mouvement ou une musique pour les yeux ? L’art des jardins appartient-il à l’architecture ou à la peinture, ou à l’un et l’autre à la fois ?

Ne vous hâtez pas encore de clore cette liste des arts principaux. Voici un art sérieux, un grand art, l’éloquence ou l’art oratoire, qui vient réclamer sa place à son tour et fait valoir ses droits à côté, peut-être au-dessus de la poésie elle-même. C’est le rang qu’elle occupe dans la plupart des traités d’esthétique anciens et modernes. L’éloquence, doit-on l’admettre dans la catégorie des beaux-arts ou l’en exclure ? Si on l’ad met, voici venir à la suite une science qui elle aussi est un art, l’histoire. Elle aussi élève la voix. L’historien est un savant, mais avant tout, dit-on, aussi un artiste. L’histoire n’est-elle pas une résurrection du passé, comme l’a définie un éminent historien (Michelet), doué lui-même d’une merveilleuse imagination ? Mais, de toutes ces réclamations, celle peut-être à laquelle on s’attendrait le moins et qui n’est pourtant pas moins réelle, n’est-ce pas celle qu’élève, à son tour, aujourd’hui la philosophie dans la bouche et dans les écrits de plusieurs de ses représentants les plus distingués et de ses plus fervents adeptes ? À les en croire, la philosophie, du moins sa partie la plus élevée, la métaphysique, doit renoncer à son titre usurpé et suranné de science ; elle est et doit être appelée un art. Cet art, il est vrai, qu’ils excluent du cercle des sciences, ils le couronnent de fleurs, comme faisait Platon pour la poésie, qu’il bannissait de sa république. Ils l’exaltent et font de lui le plus bel éloge ; seulement ils ne disent pas très clairement ce qu’est cet art ni en quoi il diffère des autres arts. Ils ne disent pas non plus quelle place il doit occuper dans la catégorie des arts, quel degré et quel rang lui est assigné dans la hiérarchie. Aristote doit-il siéger à côté d’Homère, de Sophocle ou de Phidias ? Kant, qui, on le sait, n’aimait pas beaucoup la musique et en faisait peu de cas, la trouvant un art incommode et peu sociable, viendra-t-il s’asseoir à côté de Mozart ou