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dent pas avec son principe. Les plus grands philosophes se donnent de semblables démentis. Ce qu’il faut voir ici, c’est la cohérence dans la doctrine. Existe-t-elle ? Nous osons affirmer le contraire. Aristote a eu des vues profondes, son sens profond lui a révélé en plusieurs endroits le vrai, mais il y a loin de là à la doctrine nette, précise, concordante, qu’on lui attribue.

Les Grecs, dit-on, n’ont pas compris l’imitation comme nous l’entendons. Soit. Le mot, chez eux, n’a pas sans doute ce sens précis. Mais ni Aristote ni aucun de ceux qui, venus après lui, l’on suivi, n’ont attaché à ce mot celui de représentation idéale. Sur ce point, sa pensée est équivoque, pleine d’obscurité. Si sa langue n’est pas claire, c’est que l’idée elle-même dans son esprit n’est pas nette, et il n’est pas clair pour les autres parce qu’il ne l’est pas pour lui-même. Ce n’est pas lui faire injure que de le dire.

Ces réserves faites, nous sommes les premiers à le reconnaître, toute la philosophie d’Aristote se prête beaucoup mieux que celle de Platon à une conception véritable de l’art. L’idéalisme exagéré de Platon, on l’a dit, exclut le réel ; l’empirisme rationnel d’Aristote le reintègre. Par là, le côté sensible ou de la forme, dans l’art, lui-même est réhabilité, ce qui est une condition essentielle pour comprendre l’art et ses œuvres. L’art, qui est une représentation sensible de l’idée, est ainsi rétabli dans ses droits. D’autre part, Aristote, qui combat l’idée, néanmoins la conserve ; elle devient pour lui l’élément de la forme (εἶδος), qui, s’ajoutant à la matière, se combine avec elle. Le rapprochement des deux termes s’opère de cette façon ; leur identité même est effectuée par l’union intime des deux principes.

L’idée, dès lors, ne réside plus dans une région inaccessible aux sens et à l’imagination, elle n’est plus séparée du sensible ou supra-sensible. L’alliance du rationnel et du sensible s’opère dans la réalité elle-même. De là une manière d’envisager l’art et ses œuvres toute autre que d’elle de Platon, à la fois plus vraie et plus libérale, plus capable de faire comprendre l’art et ses effets. Cela, nous l’accordons. Mais tout cela est virtuel dans Aristote et nullement formel. Aristote n’en déduit aucune théorie. Aristote n’a pas vu les deux éléments dont l’art se compose ni le lien qui les unit. Son idée de l’art et sa définition du beau n’ont aucun rapport entre elles. Son principe d’imitation s’arrête au réel, l’idée qui s’y joint dans le réel ne lui apparaît pas. C’est la forme (εἶδος). Qu’est-elle ? dans quel rapport est-elle ici avec la matière ? Aristote ne le dit pas, ne s’en occupe pas. L’art est une imitation, il imite tantôt les objets comme plus grands tantôt comme plus petits, meilleurs ou pires. Il les imite aussi tels qu’ils sont. Ici apparaît le côté faible. L’art n’imite pas les objets tels qu’ils sont,