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BÉNARD. — problème de la division des arts

labeur et le mérite de leurs services. En jetant un voile discret sur leurs découvertes, elle donne la tentation de s’en servir sans assez les apprécier ou même de les dénigrer. Elle dispense envers eux de la reconnaissance due à leurs travaux et de l’admiration qu’eux-mêmes ont droit à inspirer.

Quant à Aristote, sur le point dont il s’agit, la division des arts, le progrès chez lui est manifeste. La question, quoique incidemment posée, reçoit une solution, en apparence fort précise, quoiqu’elle soit à peine indiquée. Elle se retrouvera plus ou moins dans toutes les divisions de l’art qui auront cours dans les âges suivants. Mais il ne faut pas exagérer comme on le fait dans un intérêt systématique (M. Schasler, Frohschammer). Attribuer à l’auteur de la poétique, d’après le passage cité, même, éclairé de quelques autres, toute une théorie des arts à laquelle il n’a pas songé et qui ne pouvait être la sienne, construire en son honneur tout un système d’esthétique à l’aide de quelques phrases éparses incidemment jetées soit dans la Poétique, soit dans d’autres écrits (Politique, etc.), c’est, je le répète, une façon de commenter Aristote qui paraît dépasser toutes les limites de l’histoire et de la critique. Cette méthode de faire accoucher les grands esprits, aujourd’hui fort à la mode, pour n’être pas nouvelle, n’en est pas meilleure.

Quoi qu’il en soit, Aristote n’a pas trouvé et ne pouvait trouver le vrai principe de la division des arts. La raison en est simple : c’est que l’idée vraie de l’art n’est pas dans Aristote. Nous en dirons quelques mots.

Malgré tout ce qui a été dit pour prouver le contraire (Fr. Müller, Teichmüller, Frohschammer, Schasler etc.), Aristote n’est pas sorti du principe de l’imitation qu’il a légué à ses successeurs. Tous les arts, dit-il, sont des imitations (Poét., I). « L’art a son origine dans l’instinct d’imitation, commun aux hommes et aux animaux. » (ibid.) Cela est-il vrai ? Si l’homme est artiste, c’est qu’il n’est pas unani mal, un singe imitateur, mais un esprit ; comme esprit, il n’imite pas, il crée. Le plaisir qu’il éprouve n’est pas comme le prétend Aristote dans le fait de reconnaître ce qu’il a vu déjà (ibid.) ni dans l’imitation, jouissance d’une nature inférieure, mais dans la représentation d’une idée sous forme sensible. C’est quand il cesse d’imiter que l’art en réalité commence. L’art est une représentation de l’invisible dans le visible. Où voit-on cela dans Aristote ?

Pour expliquer Aristote dans le sens qu’on lui prête d’une représentation de l’idéal, il faudrait forcer signification des termes, s’appuyer sur d’autres passages, la κάθαρσις, la poésie plus vraie que l’histoire, etc., qui en réalité sont bien dans Aristote, mais ne s’accor-