Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
revue philosophique

facultés humaines, mémoire, imagination, raison. Tel est le cadre général. Dans ces trois compartiments doivent se ranger toutes les œuvres de l’esprit humain. L’imagination, qui occupe la seconde place, devrait représenter tous les arts, au moins les arts d’imagination. La poésie seule remplit tout entière cette seconde portion du cadre ; et elle-même est divisée en narrative, dramatique et parabolique. On cherche vainement les autres arts. Ils sont tout à fait oubliés. C’est que Bacon, dans un livre sur la dignité des sciences, ne les juge pas dignes de figurer parmi les sciences. On les trouve ailleurs, mais relégués dans un coin obscur des divisions particulières, sous le titre d’arts voluptaires (artes voluptariæ, liv.  IV), car leur but est le plaisir. Peinture, architecture, art des jardins, ce sont les arts pour les yeux. La musique est l’art pour l’oreille. À côté ou à la suite viennent les arts pour les autres sens, l’art des parfums, la délicatesse de la table, etc. Bacon du reste, il le dit, se hâte d’abandonner ce sujet, trop au-dessous de la dignité des sciences. Quant à la distinction des arts utiles et des arts d’agrément, elle n’est nulle part marquée avec précision. La médecine, l’astronomie, la cosmétique, l’athétique, etc., figurent pêle-mêle dans cette énumération.

Les questions relatives au beau et à l’art sont étrangères au cartésianisme. Aussi, pour trouver dans Descartes, ou même dans les écrits que sa philosophie a inspirés, quelque chose qui puisse s’appeler une esthétique cartésienne, il faudrait changer tout à fait le sens des mots que l’usage a consacrés[1]. Ni Descartes ni ses successeurs ou ses disciples n’ont songé à s’occuper de ces sujets, qu’ils abandonnent aux littérateurs et aux artistes. Le dualisme cartésien d’ailleurs est encore moins que l’idéalisme platonicien favorable à la vraie notion de l’art et du beau. Le beau et l’art supposent en effet l’union intime, la fusion réciproque et l’harmonie des deux termes que Descartes sépare, la matière et l’esprit, la forme et l’idée, le rationnel et le sensible. La métaphysique d’ailleurs et la physique sont toute la philosophie de Descartes ; l’esthétique et la morale y sont nulles, la première plutôt encore que la seconde. Descartes n’a parlé qu’une fois du beau en passant et d’une façon empirique, comme on l’a fait remarquer. En ce qui concerne l’art et les arts, il ne s’élève pas au-dessus de l’opinion vulgaire. Dans le Discours de la méthode il n’en parle nullement en philosophe. Faisant la revue des choses qui lui ont été apprises, il nous dit qu’il estimait fort l’éloquence et

  1. Un écrit récent a paru sous ce titre : Essai sur l’Esthétique de Descartes, dont il a été rendu compte dans cette revue (t.  XIV, 556). Sans contester le mérite de ce travail, plein d’aperçus ingénieux, l’auteur, M. Krantz, eût mieux fait de choisir un autre titre, comme on le lui a fait remarquer (ibid.).