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BÉNARD. — problème de la division des arts

qu’il était amoureux de la poésie. Il sait que la gentillesse des fables réveille l’esprit, que la poésie a des délicatesses et des douceurs très ravissantes (1re partie) ; mais il ne voit en tout cela que des dons de l’esprit et ne croit pas qu’on doive y faire grand cas des règles. Pour lui, c’est de la vérité métaphysique qu’il s’agit, c’est elle qu’il doit fonder sur une base inébranlable. Y a-t-il une autre vérité, une vérité poétique, artistique ? Comment cela serait-il dans ce pays des chimères et de la fiction qu’habite l’imagination, maîtresse d’erreurs et de mensonges ? La partie technique seule, soumise à des règles mathématiques, pourrait avoir pour lui de l’intérêt. Lui-même avait composé, à ce point de vue, un traité de la musique. Mais plus tard il le désavoue comme un avorton de son esprit, indigne de figurer parmi ses œuvres.

On sait comment les cartésiens traitent l’imagination. Pour eux, elle n’est qu’une source d’erreurs, d’illusions et de mensonges. C’est la partie décevante dans l’homme (Pascal), la folle du logis, etc. (Malebranche ; Spinoza). Parmi les contemporains de Descartes, aucun esprit sérieux ne songe à faire honneur à l’imagination de ses véritables œuvres. Celles-ci sont, dans la partie technique, plutôt attribuées aux sciences. Quant aux arts, leur but est l’utilité. Tout au plus servent-ils à l’agrément, à l’ornement de la vie. C’est ainsi qu’en parle Bossuet par exemple (C. de Dieu, 1re partie, ch.  15) « Des sciences sont nés les arts qui ont rapport tant à l’ornement qu’à l’utilité de la vie. Les arts diffèrent des sciences : 1o en ce qu’ils font produire quelque ouvrage sensible, 2o en ce qu’ils travaillent en matière contingente, » Ces arts, que sont-ils ? Les principaux sont la grammaire, la rhétorique, la musique, l’arithmétique pratique, l’architecture, la mécanique, la sculpture et la peinture. Dans cette énumération où les arts sont confondus avec les sciences, la prééminence est accordée à la peinture, Elle a, dit Bossuet, un rang plus élevé, « parce que le dessin est l’âme de la peinture » (ibid.).

Veut-on se faire une idée du peu d’importance que l’on attache à cette partie de la théorie de l’art au xviie siècle, on n’a qu’à lire le traité sur le beau du P. André, regardé comme l’œuvre esthétique la plus remarquable de cette époque. Dans ce livre, où l’auteur se montre d’ailleurs beaucoup plus disciple de saint Augustin que de Descartes, il est question non seulement du beau, mais des formes diverses du beau, du beau naturel et du beau artificiel, du beau dans les pièces de l’esprit lui-même divisé en trois espèces, les images, les sentiments, les mouvements, etc. Tout un discours est consacré au beau musical. Mais pas un mot n’est dit des arts du dessin ni de la division des arts en général. Les philosophes, du reste, dédaignent