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venu où elle doit y entrer et où des esprits d’une trempe supérieure la jugeront d’un assez haut intérêt, pour être l’objet des recherches du savant et des méditations du philosophe.

Si toutefois on jette un coup d’œil sur les écrits philosophiques qui apparaissent à la fin de ce siècle, soit en Angleterre, soit en Hollande, ou en Ecosse, ou en Allemagne, on verra que dans ces livres, dont les uns sont des traités sur le beau, le sublime (Burke), figurent aussi les questions sur l’art et ses principes, sur la comparaison des arts entre eux. Quoiqu’ils n’offrent rien de bien original ni de profond, l’intérêt va croissant sur ces matières, une attention plus sérieuse leur est donnée, la place qu’elles occupent est de plus en plus grande, et leur importance est plus généralement reconnue. Ce mouvement, c’est en Allemagne qu’il se produit, c’est là que nous avons à le suivre.

VII

Un disciple de Wolf, Baumgarten, habitué, à son exemple, à systématiser la science et à en délimiter toutes les parties, trouve qu’il existe une lacune grave dans le tableau qui en a été dressé. Il conçoit l’idée d’une science nouvelle jusque-là omise et qui doit avoir sa place distincte et indépendante à côté de la logique et de la morale : il la nomme esthétique. Ce nom est resté à la science du beau, qui elle-même comprend la théorie des beaux-arts. Nous n’avons pas à examiner si l’auteur a bien ou mal exécuté son dessein, si les limites qu’il trace entre les trois sciences sont bien ou mal posées. C’est déjà un très grand service que d’avoir inauguré le problème et d’avoir cherché à le résoudre. La division empruntée aux facultés humaines, dont l’une, la raison (Verstand), saisit le vrai, les deux autres, la volonté et la sensibilité, perçoivent le bien et le beau, le bien objet de la volonté, le beau objet d’une perception confuse et qui est la perfection sentie, ne peut guère résister à la critique, qui en démontre aisément le vague et l’incertitude. Ce n’est pas moins la première distinction un peu sérieuse qui été faite entre les trois sphères de l’activité intellectuelle et morale. Elle règne encore dans beaucoup d’esprits qui n’en connaissent pas d’autre. Quant à la théorie de l’art Baumgarten, qui ne s’est occupé que de la poésie et de la rhétorique, ne l’aborde pas. Il ne s’élève pas au-dessus du principe de l’imitation ; il n’essaye pas de donner des arts particuliers une classification réelle. Ses divisions et subdivisions, tout extérieures et purement logiques, s’appliquent à tous les arts ; elles ne sortent pas de la rubrique ordinaire. Rien de plus banal, de plus scolastique, de plus stérile que