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BÉNARD. — problème de la division des arts

première place dans les œuvres de l’imagination appartient à la poésie, toujours divisée en narrative, dramatique et parabolique. Puis vient la musique avec ses espèces : la musique théorique, pratique, instrumentale et vocale. La peinture, la sculpture, l’architecture et la gravure complètent la liste. Nous n’insistons pas sur le caractère artificiel et superficiel de ce tableau, qui n’a rien de scientifique et de philosophique. C’est du reste à un littérateur fort peu philosophe, à Marmontel, l’auteur des contes moraux, qu’est confiée la tâche de tracer la théorie des beaux-arts dans l’Encyclopédie. L’article Arts libéraux, qu’il a composé sur ce sujet, est au moins curieux à consulter. Il peut donner l’idée de la justesse et de la profondeur des doctrines sur l’art alors professées. L’auteur se croit obligé au début d’expliquer et de justifier la prééminence qu’il accorde aux arts libéraux sur les arts utiles, et la raison qu’il en donne est celle-ci : « Rien, dit-il, de plus bizarre en apparence que d’avoir ennobli les arts à l’exclusion des arts de première nécessité. » Or quelle est la cause qui peut leur valoir cette supériorité ? Il n’en voit pas d’autre que la vanité. « Il a bien fallu, dit-il, leur accorder des récompenses, afin d’exciter l’émulation des artistes. » — « Ainsi s’est établie l’opinion de leur prééminence sans égard à leur utilité. » Singulière façon, on l’avouera, d’ennoblir les arts et d’en relever l’idée.

Une pareille manière de comprendre les beaux-arts ne mène pas à une division bien philosophique. Sa division, la voici : Parmi les arts les uns dit-il, s’adressent à l’âme, les autres aux sens : ce sont d’une part l’éloquence et la poésie, de l’autre la musique, la peinture, etc., le reste est purement littéraire. En France, on le sait, le coryphée et le théoricien de cette école, c’est Batteux dont le Cours de littérature a aussi pour titre : Traité des beaux-arts réduits au même principe. Ce principe, c’est l’imitation, et imiter, c’est copier un modèle. Voilà le prototype ou le modèle des beaux-arts. Quelques lignes plus loin, l’imitation devient celle d’un monde idéal possible, puis le choix de la belle nature, etc. L’auteur ne s’aperçoit pas que chaque mot contredit et renverse sa théorie.

Nous avons hâte de sortir de ces banalités. Nous-même sommes forcé de reconnaître que la question dont nous faisons l’histoire semble se traîner dans la même ornière depuis des siècles. Mais, si elle n’a pas fait de progrès sensibles, c’est que l’idée de l’art elle-même, depuis Platon et Aristote, n’a été soumise à un examen sérieux par aucun penseur digne de ce nom. Une énorme lacune s’est produite au moyen âge, où elle n’a même pas été posée ; dans les siècles suivants, elle est comme bannie du cercle des sujets dont il est permis à la philosophie de s’occuper. Le moment n’est pas encore