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Au lieu de mots, s’agit-il de sons, par exemple d’un air populaire (sans parole) auquel je pense, je ne remarque rien dans les organes vocaux, mais j’éprouve un sentiment particulier dans le larynx, comme si je chantais intérieurement. — Lorsque j’essaie, ce qui m’est très difficile et ne m’arrive que dans des circonstances particulières, de chasser complètement ce sentiment de paroles ou de sons apparents, il me faut cesser de penser en paroles ou en sons (p. 1, 2).

Pour les paroles, en ce qui concerne les organes vocaux, ce sentiment particulier est la règle. Il a été déjà signalé par beaucoup d’auteurs, et M. Stricker l’a constaté sur plus de cent personnes. Pour les sons, ce sentiment dans le larynx est-il la règle ? Des sociétaires de l’Opéra de Vienne partagent cette opinion ; mais des instrumentistes rompus à leur métier affirment que la pensée musicale est accompagnée chez eux d’un sentiment dans les doigts ou les lèvres. Est-ce simplement parce que ce sentiment domine celui qui est ressenti dans le larynx ? Le cas est douteux.

Quand nous parlons, nous le savons de plusieurs manières : en entendant nos propres paroles, en sentant les mouvements par lesquels elles se produisent. L’auteur ne propose d’étudier que ce dernier élément : ces mouvements se produisent d’ailleurs dans deux appareils : le larynx et l’appareil de l’articulation.

En articulant une consonne quelconque, par exemple B, soit seule, soit précédée ou suivie d’une voyelle (eB, Be), au commencement de l’articulation est lié un sentiment particulier dans les organes de l’articulation : pour B dans les deux lèvres, pour D au bout de la langue, pour K à sa base, etc. C’est ce que l’auteur appelle le sentiment initial. Il existe aussi pour les voyelles, mais moins marqué. On peut, en un mot, poser comme une vérité générale « que l’articulation de tout son commence par un sentiment initial ».

Si maintenant je pense tout bas au son B, ou, comme s’expriment quelques psychologues, si j’en ai la représentation, l’idée, j’ai également le sentiment initial dans les lèvres. L’idée du son B et le sentiment dans les lèvres sont liés (dans ma conscience) d’une manière indissoluble. L’auteur passe en revue toutes les consonnes et montre qu’il en est de même, avec cette différence que ce sentiment est lié à d’autres parties des organes de l’articulation. Ces différences que je perçois, si légères qu’elles soient, sont de la plus haute importance, car sans elles, quand je pense tout bas, les consonnes B, P, M sont absolument semblables.

En résumé, on peut dire : 1o qu’à l’idée de tout son se lie indissolublement un sentiment plus ou moins clair dans les organes de l’articulation, 2o que ces sentiments siègent dans les muscles, 3o qu’ils sont analogues à ceux par lesquels l’articulation réelle commence.

Ce qui a été dit jusqu’ici pour des sons isolés est valable pour des mots entiers et pour une série de mots. L’auteur insiste sur la valeur du sentiment initial. D’après son observation, quand il pense avec la