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plus grande attention aux mots pater et mater, il ne trouve « aucune autre différence que celle du sentiment de p et de celui de m » (p. 10).

Mais quelle est la nature des représentations de mots ? L’auteur fait remarquer que, suivant la doctrine courante, elles consistent en des images auditives (Schallbilder). Nous avons dès l’enfance entendu un mot, nous l’avons lié par répétition à un objet, et maintenant, quand nous y pensons, le souvenir est celui d’un mot entendu. Cette solution n’est pas la vraie. Après un résumé des recherches sur les localisations cérébrales, en tant qu’elles touchent au langage (Gall, Bouillaud, Dax, Broca, Fritsch et Hitzig, Ferrier, Munk), il en revient à la question posée ci-dessus.

Quand je me représente un son B avec toute l’attention possible, je n’ai conscience que d’une chose : d’un certain sentiment des lèvres ; ce qui équivaut à dire qu’il se passe quelque chose dans mes lèvres. « La pure représentation d’un mot ne consiste donc en rien de plus qu’à savoir qu’il se passe quelque chose dans les muscles servant au langage ; et ce phénomène résulte de l’activité psychique de la représentation. C’est donc parce que je me représente ce mot que j’évoque ce sentiment. Mais ce que la fonction psychique produit dans les muscles ne peut être produit qu’au moyen des nerfs qui vont de la couche corticale aux muscles, par les impulsions qu’ils transmettent. Il est évident que les régions du cerveau d’où viennent ces impulsions doivent être motrices. La recherche psychologique nous amène donc à conclure que les pures représentations de mots dépendent des régions motrices du cerveau. D’un autre côté, les recherches pathologiques et nécroscopiques nous conduisent au même résultat. Il y a donc ici accord complet entre la recherche objective et la recherche subjective. » (P. 28.)

Les représentations de mots sont donc des représentations motrices. Mais il ne faut pas les confondre avec ce qu’on nomme d’ordinaire des représentations de mouvement (Bewegungsvors tellungen) : ce que j’éprouve, par exemple, quand je remue mon bras et que j’ai un sentiment concomitant du mouvement produit et de sa nature. « Dans ce cas, les perceptions sont de nature sensorielle, tandis qu’aucune indication de cette nature n’est contenue dans les représentations de mots. » Si les représentations de mots naissent dans la région du langage et là seulement, elles ne peuvent avoir d’autres bases matérielles que les nerfs moteurs et leurs fonctions, et ces nerfs n’ont d’autre fonction que de transmettre les impulsions à la périphérie. Les expériences objectives nous autorisent donc à présumer que les représentations de mots consistent dans la conscience des impulsions transmises du centre du langage aux muscles.

Si j’essaye de prolonger, pendant quelques secondes, la représentation du son P, je m’aperçois que ce que je pense, c’est une série de P successifs : en d’autres termes, ce n’est pas un P prolongé, mais plusieurs P. — Si je fais la même expérience sur Pe, c’est le suffixe e que je prolonge, et cela aussi longtemps que je ne suis pas forcé de res-