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de là un caractère triste, surtout inquiet et indécis. Or tels étaient justement les caractères du mode majeur et du mode mineur dans la mélodie considérée en dehors de toute harmonie. Cette identité des caractères du même mode dans la mélodie et dans l’harmonie a-t-elle, oui ou non, la même cause ou des causes différentes dans la marche mélodique et dans la marche harmonique ? La cause est la même sous deux formes différentes. L’harmonie du mode mineur est troublée, je souligne le mot, par les sons résultants, dit M. P. Blaserna : et moi je dis de mon côté : La mélodie du mode mineur est troublée, je souligne encore le mot, non plus par une simultanéité qui n’existe pas ici, mais par un passage prompt et plus fréquent du ton entier au demi-ton, passage qui est à la fois allure traînante, affaiblissement, tâtonnement, hésitation de la marche sonore et par conséquent trouble de cette marche. Ainsi, trouble dans la mélodie, trouble dans l’harmonie, voilà la cause du caractère du mode mineur d’un côté en sa marche mélodique, de l’autre en sa marche harmonique. Sans nous répéter en sens inverse, nous avons le droit de dire brièvement : renforcement de la mélodie par une marche diatonique plus franche, plus égale ; renforcement de l’harmonie par les sons résultants, voilà la cause du caractère d’abord mélodique, puis harmonique, et le même dans les deux cas, du mode majeur. Et, quand nous parlons d’un trouble mélodique et harmonique du mode mineur, il est bien entendu que ce trouble très relatif, très limité n’altère que fort peu la régularité musicale ; autrement, le mode mineur ne nous donnerait pas le plaisir musical, dont la cause est toujours une sonorité agrandie et ordonnée, c’est-à-dire idéale, exprimant un degré de la vie ou un état de âme.

M. F. Bonatelli, professeur ordinaire de philosophie à l’Université de Padoue, a expliqué le caractère du mode mineur non seulement par des raisons harmoniques, mais encore par quelques lignes sur la mélodie. Je tiens d’autant plus à rappeler ses vues sur ce sujet, que c’est à l’occasion d’un de mes articles et avec des paroles bienveillantes pour moi que le savant italien a reproduit en mars 1882, dans la Revue philosophique, une théorie psychologique qu’il avait publiée déjà en 1862. J’y tiens beaucoup encore à cause de la concordance presque complète de ses idées avec les miennes en ce qui touche ce point difficile. Le passage principal de sa communication est, en effet, celui-ci :

« Je considérais bien souvent en moi-même quel rapport il pourrait y avoir entre les accords en mode mineur et la tristesse. Comment se fait-il, me disais-je, que la différence d’un demi-ton doive produire cette différence énorme entre les sentiments éveillés dans