Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
revue philosophique

son langage, ne signifient que la mauvaise humeur d’un lettré indépendant, épris de toutes les nouveautés, envers la routine intolérante et persécutrice contre laquelle avait partout à se défendre le mouvement de la Renaissance. Ce qu’il appelait les bonnes lettres, c’étaient les idées nouvelles, et le courage à les défendre représentait pour lui toutes les vertus. Or, dans les villes mêmes où la Renaissance était le mieux accueillie par de jeunes et généreux esprits (et Metz était de ce nombre, au témoignage d’Agrippa lui-même, qui y laissa de nombreux amis), elle était suspecte à la majorité et en butte aux plus redoutables attaques. Agrippa eut trop à souffrir de cette défiance et de ces attaques pour ne pas exhaler son ressentiment avec la véhémence ordinaire de son langage, partout où les vicissitudes de sa mobile existence lui en fournirent le sujet.

M. Prost s’est ainsi laissé entraîner à étudier avec sa conscience habituelle cette étrange existence d’Agrippa, qui a eu sa légende, très voisine de celle du docteur Faust, et qui, dépouillée des traits merveilleux dont l’a revêtue l’imagination populaire, offre encore l’attrait de plus d’un mystère. Je n’affirmerais pas que, en cherchant à éclaircir ces points obscurs, il n’ait pas éprouvé un patriotique plaisir à rabaisser le philosophe allemand, contempteur de Metz ; mais ce sentiment, que nous ne saurions blâmer en lui-même (car le patriotisme messin est aujourd’hui une des formes les plus respectables et les plus touchantes du patriotisme français), n’a pas nui à l’exactitude de ses informations et à la justesse de ses conjectures et ne l’empêche pas de rendre pleine justice à Agrippa toutes les fois qu’il en trouve l’occasion.

Qu’était-ce donc, d’après le livre définitif de M. Prost, que le célèbre auteur des traités de la Philosophie occulte et de l’Incertitude des sciences ?

Son nom patronymique paraît avoir été Cornélis. C’est le nom sous lequel il figure sur les registres de Metz, comme orateur appointé de la ville. En latinisant ce nom, suivant l’usage des lettrés de son temps, il y joignit de bonne heure celui d’Agrippa, emprunté au nom latin de sa ville natale, Cologne, Colonia Agrippina. C’est seulement dans ses dernières années, pour justifier ses prétentions à la noblesse, qu’il fit suivre ce surnom d’Agrippa de celui d’un petit village près de Cologne, Nettesheim. Rien ne prouve qu’il fût noble, quoiqu’il parle avec emphase des images de ses ancêtres, imaginibus avitis. Il était très porté à se vanter, et sa noblesse doit être tenue pour aussi douteuse que le titre de chevalier doré, miles auratus, dont il se para, assez tardivement d’ailleurs, et que les exploits militaires sur lesquels il fondait l’obtention de ce titre. Il ne se donne d’abord que la qualification de miles, et il s’attribue des campagnes en Espagne et en Italie, dont il est difficile de trouver la place quand on serre d’un peu près, comme l’a fait M. Prost, les événements de sa jeunesse. Plus tard, abusant du double sens qu’avait au moyen âge ce nom de miles, il lui fait signifier la chevalerie, et, afin de mieux justifier cette interprétation, il