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ANALYSES.a. prost. Corneille Agrippa.

y ajoutera l’épithète d’auratus. Plus tard enfin, cette interprétation servira de base à la revendication de la Toison d’or.

Les titres universitaires d’Agrippa ne résistent pas mieux à la critique de M. Prost. Agrippa s’est donné, tardivement aussi comme pour sa noblesse et sa chevalerie, le double titre de docteur en médecine et de docteur dans l’un et l’autre droit. Or il quittait Cologne avant l’âge de vingt ans, n’ayant encore que le titre de maître ès arts ; il passait quelques semaines à Paris, où il ne pouvait pousser bien loin ses études universitaires, revenait à Cologne et en partait bientôt pour des pérégrinations en Espagne, en France, en Angleterre, au cours desquelles sa correspondance n’atteste nulle part des études suivies. On le retrouve, à vingt-trois ans, à l’université Dole, non comme élève, mais comme professeur, pourvu d’une chaire où il explique la Cabale. L’année suivante, il soutient à Cologne des thèses de théologie, puis il se rend en Italie, où il mène pendant sept ans une vie errante, plus occupée d’intérêts politiques et d’affaires militaires que de travaux scientifiques, et où il ne s’arrête quelque temps dans deux villes d’universités ; à Pise et à Pavie, que pour assister dans l’une comme théologien à un concile et pour professer dans l’autre la philosophie hermétique. Il est difficile de trouver le moment où il aurait pu se préparer à son double doctorat et en obtenir la collation authentique. Il est certain qu’il fut pendant quelque temps attaché comme médecin au service de la reine mère de France, Louise de Savoie ; mais une charge de ce genre n’exigeait pas le doctorat, et même elle en tenait lieu. Lorsqu’Agrippa perdit cette charge, il perdit en même temps le droit d’exercer la médecine, et il cessa bientôt, sur les réclamations de ses confrères pourvus d’un titre officiel, de se parer d’un tel titre. S’il avait menti pour ce premier doctorat, son affirmation doit être tenue pour au moins suspecte quant au second.

Il y avait chez lui beaucoup de charlatanisme. M. Prost en trouve la preuve non seulement dans les titres usurpés dont il s’affuble, mais dans le choix de ses études, dans sa prédilection pour les sciences occultes, si propres à éblouir les imaginations. Il protestait quand on lui attribuait un pouvoir surnaturel ; mais il n’était pas fâché qu’on le crût doué d’un tel pouvoir. Il s’attira la disgrâce de Louise de Savoie en refusant de remplir auprès d’elle, sous le couvert de son titre de médecin, l’office d’astrologue ; mais, jusqu’à la fin, il fit des horoscopes et il en tira des prédictions dont il flattait ou effrayait tour à tour ses protecteurs, suivant qu’il voulait soutenir leur zèle ou prévenir leur abandon.

N’était-ce donc qu’un aventurier et un pur charlatan ? M. Prostest très loin de le penser. Agrippa possédait un savoir réel, supérieur peut-être à celui qu’il aurait pu puiser dans l’enseignement des universités, dont il revendiquait les titres, mais dont il méprisait le fatras scolastique. Il recherchait, avec une curiosité insatiable, outre les meilleurs écrits de l’antiquité, que la Renaissance remettait en honneur,