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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

Essayons de déterminer avec la plus grande précision possible l’étendue et les limites de la puissance expressive du timbre.

Les yeux fermés, je reconnais une personne au timbre de sa voix. Je dis que je la reconnais : c’est donc que je la connaissais déjà. Or ce qui m’importe en ce moment, c’est de découvrir ce que le timbre m’apprend d’une personne inconnue. Je remarque premièrement que le timbre n’est jamais entendu isolément. Il est inséparable de la hauteur et de l’intensité, non seulement dans la voix chantée, mais encore dans la voix parlée : toute voix parlée qui rend un son le donne sans doute avec son timbre personnel ; mais elle ne peut s’empêcher d’y mettre une intonation qui en marque la hauteur, et une force qui en fait apprécier l’intensité ; toute voix qui chante une note fait assurément vibrer la résonance de son timbre individuel, mais elle emprunte cette note à un certain degré de l’échelle diatonique, et elle l’émet au moins avec l’intensité sans laquelle elle ne serait pas entendue. Donc le timbre est toujours combiné avec la hauteur et avec l’intensité.

Les mathématiciens calculent et disent combien trois termes donnés fournissent de combinaisons. Le nombre en est borné. En musique, ces combinaisons échappent au calcul, tant est prodigieuse la variabilité de chacun des trois éléments. Cependant, au milieu de cette diversité indéfinie sinon infinie, quelques formes se dégagent, se dessinent, se distinguent, approchant plus ou moins de l’individualité, sans jamais y atteindre assez pour manifester la personne même, si celle-ci n’est pas connue. Une combinaison du timbre avec la hauteur et l’intensité produit la voix d’enfant, une autre la voix d’adolescent, une troisième la voix de jeune homme, une quatrième la voix forte et mâle de l’âge viril, une cinquième la voix déclinante des dernières années. Ce n’est pas tout : la féconde nature, par d’autres alliances du timbre, de l’intonation et de la puissance sonore, crée les voix féminines et, selon leur âge, leur imprime une physionomie et un charme différents. Toutefois, dans chacune de ces associations, le timbre est et demeure l’agent principal, l’informateur par excellence. Maintenu par une mutilation dans les conditions physiologiques antérieures à la puberté, il force l’homme fait à garder sa voix d’enfant. Imaginez-le supprimé, par impossible, ou, puisque la suppression en est impossible, supposez-le effacé, voilé, presque éteint, aussitôt s’éteignent et disparaissent presque les caractères d’âge de sexe dont nous venons de parler. Sa puissance va donc jusqu’à faire ressortir ces caractères ; elle ne va pas au delà. Elle reste par conséquent en deçà de la personnification rigoureusement dite ; elle en approche néanmoins plus que l’intonation et la hauteur en