Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
revue philosophique

cher, on l’a vu, de prêter, aux éléments dont elle idéalise les bruits en les changeant en voix, un peu de ce que la voix troublée exprime de nous-mêmes, le murmure, la plainte, la colère, la fureur. Mais il y a plus : la musique instrumentale nous induit à personnifier ces forces de la nature, à nous imaginer des êtres fantastiques ou semblables à nous, en qui ces forces s’individualisent, et dont les actes, les mouvements, les passions nous semblent traduits par les effets d’orchestre.

Et pourtant le trouble de la mélodie et de l’harmonie ne suffirait pas à évoquer ces personnifications ; il est trop confus, trop vague, disons le mot, trop impersonnel pour imprimer au son une forme vocale un peu déterminée. La forme déterminée autant que possible, non seulement dans ce cas, mais en général, le son la reçoit d’une autre cause très puissante : je veux parler du timbre, principe de particularité, de caractère, d’individualité dans l’instrument comme dans la voix, par conséquent trait profond d’analogie entre l’instrument et la voix.

Étudions donc maintenant le rôle du timbre dans l’orchestre.

« Supposons — dit M. P. Blaserna — la même note chantée par différentes voix humaines, jouée sur le piano, le violon, la flûte, etc. ; il n’est pas besoin d’une oreille exercée pour reconnaître que ces sons, de même hauteur, de même intensité, sont pourtant différents entre eux. L’oreille va même plus loin : elle distingue non seulement entre le violon et la flûte, mais aussi entre les violons des différents facteurs. Cette différence influe d’une façon très notable sur le prix de l’instrument. Ainsi, par exemple, tandis qu’un violon ordinaire coûte quelques dizaines de francs, on paye des milliers de livres un bon Stradivarius ou un Amati. Il en est de même de tous les instruments de musique. Cependant, pour la plupart d’entre eux, les différences de prix ne sont pas aussi fortes, parce que la facture moderne est en état d’en fournir autant qu’on veut, tandis que les violons deviennent meilleurs et plus chers en vieillissant.

« La différence de timbre est donc très importante et très caractéristique. Dans la voix humaine, le plus agréable et le plus riche des instruments solitones, la variété est infinie. Il n’y a peut-être pas deux individus qui aient exactement le même timbre de voix. Le timbre et les inflexions sont pour nous un des, plus sûrs moyens de reconnaître les personnes. »

Chaque individu humain a donc sa voix à lui, son timbre vocal personnel. Chaque instrument de musique a aussi sa voix propre, son timbre vocal individuel. Mais en quoi ce fait tant d’importance ? Il faut le chercher.