Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
CHAUVET. — la médecine grecque

secte rivale, durent faire une étude approfondie du procédé expérimental appliqué à la médecine. Il ne paraît pas qu’ils y aient manqué. Ces ennemis superbes de l’anatomie ont fait celle de l’observation, si je puis aussi dire, et distingué avec un art merveilleux ses divers organes. Par une analyse pénétrante, ils ont discerné dans l’expérience en général l’observation proprement dite, l’histoire, qui est l’observation dans le passé, et le passage du semblable au semblable, qui est l’observation concevant l’inconnu à l’image du connu. C’est là le fameux trépied empirique. Et ils ne s’en sont pas tenus à ces généralités. Dans chacun de ces genres ils ont compté et décrit des espèces. L’observation proprement dite comprend, selon eux, l’observation fortuite et l’observation cherchée : la première qui a une double source, savoir le hasard, comme lorsqu’une chute nous ouvre un abcès et nous en débarrasse, et la nature, comme lorsqu’un saignement de nez nous délivre de la fièvre ; la seconde qui consiste tantôt dans un essai qui réussit et tantôt dans l’imitation d’un procédé déjà heureusement employée. — L’histoire est de deux sortes, avec ou sans contrôle, et n’a de valeur que dans le second cas. Le contrôle s’opère par trois moyens : les mœurs de l’écrivain, qui déposent pour ou contre son intelligence et sa bonne foi ; l’analogie des faits racontés avec ceux que nous avons nous-même observés ; la concordance entre les témoignages. Mais la concordance est très différente selon qu’elle se rapporte à des choses cachées et de raisonnement ou à des choses évidentes et d’expérience. Cette dernière mérite seule considération[1]. — Le passage du semblable au semblable est également de deux sortes : s’il se fonde sur une prétendue connaissance des causes des maladies et des propriétés des médicaments, toutes choses qui se dérobent, c’est l’analogisme ; s’il n’a égard qu’aux ressemblances sensibles, aux phénomènes qui sautent aux yeux, c’est l’épilogisme, qu’on pourrait définir un raisonnement évident, parce toutes les données en sont évidentes, mais qui, n’engendrant qu’une vraisemblance provisoire, pourrait bien, tout en étant indispensable dans la pratique, ne pas faire partie de la science[2].

Harcelé par le dogmatisme, et le harcelant à son tour, l’empirisme était amené à bien d’autres distinctions. Il distinguait deux espèces de définitions, la définition dogmatique, laquelle détermine la nature de la maladie ; la définition empirique, laquelle décrit ses principaux phénomènes et pour ainsi dire son aspect extérieur[3] ; il appelait

  1. Galien, De l’empir., ch.  10. 12.
  2. Id.. Des sect. aux étud., ch.  5.
  3. Au lieu de définir la fièvre, avec Erasistrate, une affection provenant du