Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
revue philosophique

molécules. Ces molécules, en s’unissant et s’enchevêtrant de mille façons, forment des chemins, des conduits, des sinuosités que nous concevons par l’entendement sans les voir et qui diffèrent par la grandeur et la figure[1]. À travers ces pores, dans ces imperceptibles canaux, coulent sans cesse, du dehors au dedans et du dedans au dehors, des flots de molécules d’une grande subtilité, et singulièrement le souffle, formé des plus subtiles de toutes ; et ainsi naît et s’entretient la vie, ainsi s’expliquent la santé, qui n’est que le libre mouvement du flux vital, et la maladie, qui en est l’arrêt et le désordre[2].

Dans ce petit monde, pas plus de nature intelligente, si l’on regarde à l’organisation, pas plus de forces et de propriétés, si l’on regarde au jeu de la vie et aux fonctions, que dans le grand. Si certains tendons sont épais et d’autres grêles ; s’il y a une différence de volume entre les veines du corps en général et les veines du poumon en particulier, ne dites pas : C’est la nature qui a fait cela, pour procurer tel ou tel avantage ; — la nature n’a rien fait, et ces différences s’expliquent par l’exercice. Les parties, plus exercées, se développent davantage ; moins exercées, se développent moins ; laissées inertes, s’atrophient[3]. certains éléments sont introduits dans l’organisme et d’autres rejetés, ne dites pas : C’est la force attractive qui attire les premiers, la force expulsive qui repousse les seconds ; il n’existe ni force expulsive ni force attractive. Tout s’explique par le seul mouvement des fluides à travers les pores[4]. Il n’y a partout que corps et mouvement[5].

Asclépiade n’avait pas plus négligé l’âme humaine[6] que le corps humain. Et là comme ailleurs, il semble différer d’Épicure par plus de simplicité et d’exclusion. On ne voit pas figurer l’élément sans nom du maître dans la composition de l’âme, qui paraît même réduite au seul souffle, à ce fluide des fluides, ce gaz des gaz[7]. Tandis qu’Épicure distinguait l’âme pensante de l’âme vivante et logeait la première dans la poitrine, Asclépiade disperse l’âme

  1. « Fieri etiam vias ex complexione corpuscularum, intellectu sensas, ex magnitudine atque schemate differentes » (Cœl. Aur., I, 14).
  2. « (Vias) per quas succorum ductus solito meatu percurrens, si nullo fuerit impedimento retentus, sanitas maneat, impditus vero corpusculorum statione, morbos efficiat » (Cœl. Aur., ibid.).
  3. Gal., De l’us. des part., I, 21.
  4. id., Des fac. natur., I, 12, 13.
  5. « Negat nuturam aliud esse quam corpus, vel ejus naturam » (Cœl. Aur., ibid.).
  6. Galien nous dit qu’il avait écrit un petit livre : De l’essence de l’âme suivant Asclépiade.
  7. Gal. De usu respirat. ; Cœl. Aurel., ibid.