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CHAUVET. — la médecine grecque

la langue de Galien les ὄγκοι et les στοιχεῖα ἄναρμα sont dans le système d’Asclépiade ce que sont les atomes dans celui d’Épicure. Il reste donc qu’Asclépiade a modifié sur ce point capital la doctrine du maître, sans qu’on sache ni pourquoi ni comment. Pour dissiper cette obscurité, qui enveloppe comme un nuage le point de départ de la doctrine de notre médecin philosophe, il faudrait pouvoir lire son Περὶ στοιχείων[1].

Pour Asclépiade comme pour Épicure, la nature n’est que l’ensemble des corpuscules, molécules ou atomes et de leurs combinaisons, les éléments des corps et les corps, les principes de l’univers et l’univers. Elle n’est pas une force intelligente, car les corpuscules, les molécules ou les atomes se meuvent, s’agrègent, se désagrègent au hasard ; et elle n’est pas même une force aveugle, car il n’y a rien autre chose dans les corpuscules, les molécules, comme dans les atomes, que la forme et le mouvement. Tous ces points sont communs au maître et au disciple. Mais, sur le dernier, il paraît qu’Asclépiade était plus explicite, plus exclusif qu’Épicure. Épicure, sans admettre la force ou les forces naturelles, admettait cependant les faits qui semblent en dénoncer l’existence, sauf à les expliquer selon ses principes. Il admettait par exemple que le fer est attiré par l’aimant, que la paille est attirée par l’ambre. De cette double attraction, il rendait compte à sa manière, par des rapports de configuration entre les atomes du fer et de l’aimant, entre les atomes de la paille et de l’ambre. Asclépiade était plus radical : il niait les faits, si évidents qu’il fussent, au nom de la doctrine. Il niait l’attraction, il niait toute propriété, il niait toute force, parce que sa doctrine ne lui paraissait comporter ni attraction, ni propriété, ni force. Et Galien, qui nous a conservé ces renseignements[2], conclut un peu témérairement et sans nulle politesse qu’Asclépiade, qui conteste ce qui lui saute aux yeux, est un menteur, et Épicure, qui explique ce qu’il ne peut expliquer, un sophiste[3].

Sur la nature humaine, et d’abord sur le corps humain, Asclépiade, sans sortir de l’Épicurisme, semble avoir encore sa physionomie propre. En sa qualité de médecin, préoccupé de la santé, de la maladie et de leurs causes, il attache une importance particulière aux pores, qui sont le vide présent à l’intérieur du corps, comme partout. Le corps humain est composé de pores aussi bien que de

  1. Ou bien le traité perdu de Galien, en 8 livres. Des dogmes d’Asclépiade.
  2. Lire, Des facult. nat., l. I, tout le chapitre 4.
  3. Épicure était cependant, n’en déplaise à Galien et à sa doctrine, sur le chemin du vrai, témoin la théorie contemporaine de l’équivalence des forces et de leur réduction au mouvement.