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tel sentiment n’est pas semblable à la voix de cet homme ou d’un autre homme animé du sentiment contraire.

Cette concession nous suffit. C’est exactement comme s’ils accordaient qu’un timbre de voix donné est le signe de la présence d’une certaine espèce de personne. Mais alors de quel droit soutiendront-ils qu’un timbre instrumental donné, analogue à une classe de voix humaines, ne saurait être attribué à un personnage, fictif sans doute, mais semblable à l’être humain dont il simule ou rappelle la voix ? Est-ce qu’il n’est pas plus naturel, plus sensé, de placer sous ce signe la personne qu’il signifie ordinairement, en ne lui prêtant, bien entendu, qu’une existence imaginaire, que de dénaturer ce signe en le dépouillant de sa signification, même imaginaire, pour le réduire à la valeur infime d’un phénomène sonore insignifiant et vide ? Dans le premier cas, j’obéis à une loi de l’esprit humain ; je m’intéresse autant qu’il convient à un être qui est, au moins par la voix, un peu mon semblable, et enfin je jouis de l’expression de cette voix. Dans le second cas, au contraire, je viole une loi de mon esprit ; à une fiction intéressante, parce qu’elle confine à la réalité vivante, je m’obstine à substituer une sonorité matérielle sans aucun intérêt, et enfin je me prive d’un plaisir esthétique vif et délicat, pour the contenter d’une caresse ou plutôt d’une friction plus ou moins douce, plus ou moins rude, exercée sur mon tympan par des vibrations instrumentales. En fait, les partisans de la musique indifférente, après avoir traité de haut ou raillé sans ménagement les défenseurs de la musique expressive, reviennent presque toujours à celle-ci. Ils se contredisent et se réfutent eux-mêmes avec une surprenante naïveté ; je l’ai prouvé en examinant le traité théorique de M. Hanslick.

Donc le meilleur parti à prendre, puisqu’on le prend tôt ou tard qu’on le veuille ou non, c’est de regarder les instruments de l’orchestre comme autant de personnages sonores semblables à nous dans la mesure où leur voix est analogue à la nôtre, dans la mesure où leur timbré sonore rappelle le timbre humain d’un caractère déterminé.

Des conséquences sortiront de là. Avant de les déduire, achevons d’étudier cette question des timbres.

S’il y a des timbres d’instruments qui se rapprochent du timbre de la voix humaine, il en est d’autres qui s’en éloignent trop, tout en restant des timbres vocaux, pour être envisagés avec quelque vraisemblance comme la voix musicale d’êtres de nature tout à fait humaine. Que l’on ne s’imagine point néanmoins que ces timbres soient dénués de caractère et de signification personnelle. Des exemples choisis entre mille témoignent que le simple auditeur et même le