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CHAUVET. — la médecine grecque

mait cette école médicale : c’est celui où Cœælius Aurelianus débat la question de savoir si l’hydrophobie est une maladie du corps ou de l’âme, énonçant l’opinion de ceux qui la rapportent à l’âme, parce que c’est le propre de l’âme de craindre, aussi bien que de désirer ; et y opposant, comme la vraie, l’opinion de ceux qui la rapportent au corps, parce que l’affection de l’âme n’est ici que le contre-coup de l’affection corporelle, qui la précède et la suscite.

Or toutes ces sectes médicales, le dogmatisme, l’empirisme, le méthodisme, comme elles ont leur point de départ, et je dirais leur source sacrée, dans ce grand homme : Hippocrate, ont leur terme naturel et leur glorieux couronnement dans cet autre grand homme : Galien. On pourrait dire du premier qu’il est l’alpha et du second qu’il est l’oméga de la médecine grecque. En tout cas, ils sont trop grands pour être renfermés dans telle ou telle catégorie de médecins : ils les dominent toutes de leur génie incomparable et de leur immense savoir, l’un en les préparant, l’autre en les résumant[1].

Galien est dans l’antiquité le médecin philosophe par excellence.

Il est d’abord philosophe à la manière d’Hippocrate et de ses successeurs, médicalement, si je puis ainsi parler. Il s’inspire de la philosophie et de ses plus illustres représentants, pour donner à la médecine sa logique, sa morale et sa physique. Mais ce n’est pas tout. Il est également philosophe en philosophe, c’est-à-dire d’une manière désintéressé. Il aime la philosophie pour elle-même ; il la cultive pour elle-même et n’estime pas qu’on puisse être médecin excellent si l’on n’est premièrement philosophe. Il développe même cette proposition en un petit traité, auquel elle sert de titre[2], montrant tour à tour que la logique philosophique, que la morale philosophique, que la physique philosophique sont nécessaires au médecin digne de ce nom.

Dans ses innombrables ouvrages, il est une multitude de traités, perdus ou subsistants, qui se rapportent à ce double point de vue de la philosophie médicale et de la philosophie philosophique.

Il avait tourné et retourné en tout sens, discuté, développé de toutes manières les questions qui intéressent la méthode de la médecine dans vingt traités différents : les traités historiques contre les empiriques et les méthodiques[3], consacrés à la réfutation des fausses méthodes médicales ; le traité Des sectes aux étudiants et celui De la

  1. Galien dit lui-même qu’il faisait profession de choisir dans chacun ce qu’il avait de meilleur (De mes propres écrits, ch. 1).
  2. Ὅτι ἄριστος ἰατρὸς καὶ φιλόσοφος
  3. Voir De mes propres écrits, ch. 9, 10.