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CHAUVET. — la médecine grecque

n’avoir pas sollicité la plume si féconde et si alerte de Galien ? On s’étonnerait à bon droit de ne pas la voir traitée dans une si vaste encyclopédie par un esprit si universellement curieux. D’autant plus que les médecins de ce temps-là étaient loin d’être devenus irréprochables. Pline nous peint leur charlatanisme effronté avec une singulière énergie. Galien lui-même s’explique avec force sur l’ignorance et la mauvaise foi de beaucoup d’entre eux, sur leur habitude d’en imposer aux simples par leur toilette, leur luxe, leur cortège : sur leurs rivalités, leurs luttes, leurs violences, voire même leurs crimes[1]. Comment n’eût-il pas éprouvé le besoin de les rappeler à la vérité, à la simplicité et à la modération ! J’estime donc que plus d’un, parmi les traités inscrits par Galien sur la liste de ses œuvres morales, est, malgré l’insuffisante clarté du titre, un traité de morale médicale, inspiré par les circonstances. Je lis d’abord ces deux titres presque identiques : Discours contre les sectes et Discours contre les sectes tenus sous Pertinax : qu’ils fussent en effet deux ouvrages, où le même deux fois cité par mégarde, ces discours contre les sectes, puisqu’ils appartenaient à la morale, ne pouvaient être que des exhortations aux médecins de sectes différentes à se supporter patiemment. Nous savons par Galien lui-même que les sectes avaient vécu et vivaient dans un état d’hostilité perpétuelle. De son temps, et à Rome, on pouvait tout craindre de leurs fureurs[2] ; de tout temps et partout, elles s’étaient injuriées réciproquement. Chiens enragés, imbéciles enragés, telles étaient les aménités qu’elles se renvoyaient. Hippocrate lui-même n’était pas épargné[3]. Il n’était donc pas sans opportunité de leur conseiller le calme et de leur prècher la paix. Ce devait être l’objet des Discours contre les sectes. Ne devait-ce pas être aussi celui d’un autre traité intitulé De la concorde ? De quelle concorde Galien pouvait-il s’inquiéter, si ce n’est de la concorde entre des médecins si belliqueux ? Et quand il écrivait un traité De la discussion, un traité De la calomnie, ne songeait-il pas encore à ces médecins toujours prêts à donner à leurs raisons le supplément du mensonge et de l’insulte ? Et quand il écrivait un traité De la compétition de ceux qui font montre de leurs auditeurs, un traité Jusqu’à quel point il faut poursuivre l’honneur et la gloire auprès du vulgaire, des Discours contre les flatteurs, ne songeait-il pas encore et toujours à ces mêmes médecins, qui se faisaient suivre par des cortèges de clients et d’admirateurs, qui s’efforçaient de séduire la foule par tous les moyens, même la flatterie ? N’est-il pas fort na-

  1. De præcognitione, ch.  1, 4.
  2. De præcognit., ibid.
  3. De l’empirisme, ch.  13.