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HÉRACLITE ET LE CONCEPT DE LOGOS


I

HÉRACLITE THÉOLOGUE

Je me propose principalement, dans l’étude que j’entreprends, de mettre en lumière les plus importants des résultats nouveaux auxquels est arrivé Gustav Teichmüller dans ses travaux sur Héraclite[1]. C’est dire que je n’insisterai pas sur les points de la doctrine de l’Éphésien qui se trouvent bien établis depuis longtemps, non plus que sur les divers détails que la controverse n’a pas jusqu’à présent suffi à éclaircir. Je ne m’astreindrai d’ailleurs ni à suivre le plan de l’auteur que je prends pour guide, ni à analyser son œuvre dans toutes ses parties. Mais tout, pour ainsi dire, lui sera emprunté dans les trois premières subdivisions de cette étude.

Au milieu des « physiologues » ioniens, Héraclite a une position toute spéciale ; ou plutôt il n’est rien moins que physiologue, c’est un « théologue ». Membre d’une famille sacerdotale d’Éphèse, sans une renonciation en faveur de son frère, il eût eu les privilèges réservés aux aînés des descendants de Codrus, y compris la présidence des cérémonies du culte de Dêmêtêr Eleusinienne[2]. C’est dans le temple d’Artémis qu’il dépose son « Logos », pour que la lecture en soit réservée aux élus qu’admettront les prêtres. Il connaît les mystères et non seulement y fait des allusions intelligibles pour les seuls initiés, mais encore, dans son langage sibyllin, « il ne révèle ni ne cache, mais il en indique[3] » le sens profond que les époptes eux-mêmes ne connaissent pas.

Il ne prétend point convaincre par la démonstration ; il réclame la foi qu’il déclare indispensable pour l’intelligence[4]. Il n’a point eu de

  1. Neue Studien zur Geschichte der Begriffe. Gotha, Perthes, I Heft, 1876, Herakleitos, pp. 1-269 ; II Heft, 1878, Herakloitos als Theolog., pp. 105-253.
  2. Diog. Laert., IX, 6. Strabo, XIV, p. 683.
  3. Fr. 11. Nous citerons les fragments d’Héraclite d’après le recueil de Mullach, Fragmenta philosophorum græcorum, vol. I, Didot, 1875.
  4. Fr. 7.