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BÉNARD. — problème de la division des arts

la pensée, les sentiments les plus intimes de l’âme, de reproduire une action dans les phases successives de son développement. L’art qui s’exprime par la parole embrasse et résume les moyens propres aux autres arts. Aussi s’applique-t-il à toutes les formes de l’art et à toutes ses époques.

« La poésie est le véritable art de l’esprit, celui qui le manifeste réellement comme esprit. Car, tout ce que conçoit la conscience, ce qu’elle élabore par le travail de la pensée, dans le monde extérieur de l’âme, la parole seule peut le recevoir et l’exprimer, le représenter à l’imagination. Par le fonds, la poésie est donc le plus riche des arts ; son domaine est illimité. Comme elle ne s’adresse ni aux sens, comme les arts du dessin, ni au simple sentiment, comme la musique, l’élément physique dont elle se sert, le son, n’est plus pour l’esprit et l’imagination qu’un simple moyen. C’est celui des matériaux de l’art qui est le mieux approprié à l’esprit. Il ne conserve pas sa valeur par lui-même. Le son pénétré par l’idée devient signe ; mais la supériorité de ce signe en fait un mode de représentation capable de tout exprimer. La poésie devient ainsi l’art universel qui reproduit dans son domaine propre celui des autres arts. » (Voy. t.  II, 2 édit. de la traduction française.)

Telle est la division que donne Hegel et qu’il a suivie dans cette troisième partie de son Esthétique. Elle est indépendante de sa division historique. Il ne se borne pas à l’admettre et même à la motiver, mais il l’applique, et en l’appliquant, chaque fois qu’il passe d’un art principal à un autre, il marque la transition et il tire de son principe de riches développements.

Cette division est-elle à l’abri de toute objection ? Nous connaissons la plupart des critiques qui en ont été faites. Nous ne pouvons ici les examiner, encore moins les discuter. Ce que nous osons maintenir, c’est que cette division, dans sa généralité, est très supérieure à tout ce qui a été tenté auparavant du même genre, et nous pensons qu’on sera de notre avis si l’exposé que nous avons fait est fidèle. L’examen auquel nous serions conduit nécessiterait un nouvel article. Il serait pour cela nécessaire de jeter un coup d’œil sur les œuvres principales qui ont été publiées depuis Hegel en Allemagne sur la philosophie de l’art. Mais, nous craignons d’avoir déjà beaucoup trop abusé de l’attention et de la patience du lecteur.

Ch. Bénard.