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venance existant entre la voix instrumentale et le personnage auquel elle est prêtée, et goûtera le charme de cette convenance expressive. Il ne sera pas nécessaire que cette convenance soit étroite, rigoureuse ; d’ailleurs une telle convenance serait musicalement impossible : une convenance approximative suffira, mais elle sera indispensable. Pas plus en musique que dans les autres arts, la forme creuse, vide ne contente l’intelligence humaine : il lui faut l’être sous le timbre, sous la voix, comme il le lui faut sous le dessin et la couleur du peintre, sous le bronze, le marbre, l’argile du sculpteur, sous les vers du poète, sous la phrasé du prosateur. C’est de l’esprit humain qu’on dira avec vérité qu’il a horreur du vide.

Résumons-nous. Dans l’étude précédente, il avait été prouvé que la musique de symphonie possède un réel pouvoir d’expression psychologique, et que, lorsque un morceau a une certaine expression, il est impossible de lui en attribuer une contraire ou de lui imposer celle-ci sans changer un ou plusieurs éléments essentiels du morceau, c’est-à-dire sans en faire une autre musique.

Dans le présent travail, on a essayé de déterminer méthodiquement l’étendue et les limites de ce pouvoir expressif. On a marqué les états extrêmes et les états moyens de la sensibilité et de l’activité de notre âme qu’exprime le compositeur, que traduit l’exécutant, que reconnaît et goûte l’auditeur. Et tous ces états ont paru ne pouvoir être musicalement signifiés que par des éléments d’essence vocale.

Mais à ce moment s’est présentée la question suivante : ce qu’on nomme le paysage musical, la musique pittoresque, le tableau instrumental, la composition descriptive, en d’autres termes l’instrumentation, en tant qu’elle prétend traduire certains bruits de la nature, a-t-elle, elle aussi, pour moyens expressifs des éléments vocaux ? Se demander cela revient à chercher si l’explication de la musique pittoresque est psychologique comme l’explication de la musique qui se rapporte à l’âme.

À cette question il a été fourni un commencement de réponse affirmative. Les faits observés ont montré, dans le caractère triste ou gai des bruits de la nature, quelque chose de l’accent triste ou gai du parler et du chant de l’homme, et jusqu’à la présence tantôt vague, tantôt très nette, des intervalles diatoniques de nos deux modes mineur et majeur. De telle sorte que, quand la nature a des sons mélancoliques ou joyeux, elle se comporte ordinairement à peu près comme la voix humaine, et quelquefois tout à fait comme elle.

Mais ce n’est là, je le répète, qu’un commencement de réponse. Afin d’arriver, s’il est possible, à une solution plus complète, j’ai