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TANNERY. — héraclite et le concept de logos

en se résolvant en eau (fr. 59) ; les plus pures seules peuvent maintenir leur individualité pour veiller comme daimones « sur les vivants et sur les morts ». Si l’on rapproche le fr. 9, « le châtiment atteindra les artisans de mensonge et les faux témoins, » Héraclite a peut-être été jusqu’à admettre des peines dans l’autre vie ; mais il ne pouvait évidemment les concevoir que comme passagères.

Ainsi Héraclite croit en fait à la préexistence et à la survivance des âmes, mais il ne peut admettre ni leur éternité ni leur immortalité. Le substance de l’âme ne peut échapper au circulus universel ; elle nait du feu divin en se détachant du Logos commun ; elle se résout en eau et retombe ainsi au rang de la matière inerte. Ce n’est qu’une rare exception si elle prolonge plus ou moins longtemps après la mort sa vie individuelle.

Telles seraient les conclusions vers lesquelles je pencherais ; un point y reste obscur : c’est celui de la communion des âmes avec le Logos universel, de l’existence individuelle au sein de la substance unique. Mais on ne peut prétendre à tout expliquer dans Héraclite ; cependant nous allons chercher à éclaircir quelque peu ses croyances en examinant la question que nous avons réservée :

Le Logos est-il conscient et personnel ?

V

LE LOGOS

Il est inutile de remarquer que le concept de la personnalité n’était nullement élucidé à l’époque d’Héraclite : on sait qu’en thèse générale la philosophie antique a négligé ce concept ; mais, si elle a pu s’en passer, c’est une raison de plus pour reconnaître qu’elle admettait nécessairement la notion vulgaire qui correspond à ce concept et d’après laquelle la conscience entraîne la personnalité.

Zeller, qui, contre l’opinion de Teichmüller, refuse la conscience à la sagesse qui gouverne le monde d’Héraclite, est cependant obligé de faire une concession capitale. D’après lui, l’Éphésien reconnaît une raison qui dirige et pénètre tout, et il lui prête des attributs que nous ne prêterions qu’à un être personnel. Il me semble que par là la question est jugée.

Dire qu’Héraclite ne distingue pas entre la raison subjective et la raison objective et qu’en tout cas il ne songe pas à la personnifier, c’est déplacer la question. Plus le concept d’Héraclite sera confus et