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conscience distincte forme ainsi une ligne continue où un état succède toujours à un autre, mais où ne peuvent coexister deux différences propres à se contrebalancer, répondant à des courants nerveux opposés. De même, en vertu de l’impénétrabilité de la matière, deux corps ne peuvent coexister au même point. C’est ce que l’école anglaise a exprimé en disant qu’un état de conscience exclut de fait l’état contradictoire, mais il faut ajouter qu’il s’agit seulement de la conscience distincte et plus ou moins réfléchie, non de la conscience spontanée et synthétique. De là naît la forme linéaire et successive dont l’école anglaise a fait la forme essentielle de la conscience, et qui est seulement la forme de la conscience analytique. Encore est-il possible à cette dernière d’apercevoir plusieurs choses, sinon avec une simultanéité absolue, du moins avec une oscillation tellement rapide d’un terme à l’autre, que cette vitesse finit par tomber au-dessous du temps nécessaire pour percevoir la succession même ; il en résulte que cette succession nous apparaît comme simultanéité. Une fois déterminé ce champ visuel de la conscience claire, les contraires n’y peuvent plus marcher de front : il faut que l’un marche derrière l’autre, et l’un ne peut passer par ce centre visuel que quand l’autre y a passé, lui-même. S’il peut coexister avec l’autre ou paraître coexister dans une vibration rapide, c’est sous l’aspect affaibli d’un souvenir saisi par une vision indirecte et projeté dans le passé. De là cette forme d’unité que prend la conscience claire, et qui s’exprime en disant : — Je suis ce que je suis, je sens ce que je sens, cette sensation est cette sensation, non une autre, et, par extension, cet objet est cet objet, non un autre. Cette loi est plus fondamentale que celle qui règle la succession des divers états de conscience, car la loi de succession entre deux états de conscience présuppose la loi de chaque état de conscience en lui-même. Or, encore une fois, cet état de conscience distincte est une différence : sa loi est donc de différer, s’opposer au reste ; pour cela, il est ce qu’il est au moment précis où il l’est, et il n’est pas son contraire ; sans quoi, tout s’évanouirait dans la coexistence des contraires, tout redeviendrait indiffèrent, neutre et mort. Donc, en résumé, la conscience claire implique la relation, la dualité, qui suppose que chaque état diffère d’un autre ou fait deux avec un autre, mais qu’il ne diffère pas de lui-même ou qu’il est identique à lui-même. L’axiome d’identité est plutôt un principe de différence que d’identité proprement dite : il est une formule particulière de la loi de relativité, qui suppose avant tout au moins deux termes, différents l’un de l’autre. Il y a là, pour la conscience, une nécessité con-