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FOUILLÉE. — causalité et liberté

jugements ou raisonnements analytiques (fondés sur le principe d’identité) et synthétiques (fondés sur le principe de succession uniforme). L’uniformité des successions ou changements est elle-même une identité dans le changement, un moyen d’obtenir le maximum de ressemblance dans la différence, le maximum d’unité dans la variété et de conservation dans le progrès.

Le premier principe directeur de la connaissance, avons-nous dit, est l’axiome d’identité. Il est possible qu’une multitude d’états contraires viennent se fondre dans la conscience spontanée et synthétique, et qu’en un certain sens ils y coexistent. Il se produit alors une composition et une résultante des sensations, comme des mouvements dans les choses extérieures. Mais c’est avec la conscience distincte et différenciée que commence la pensée proprement dite, c’est-à-dire l’établissement de relations ; il faut pour cela qu’il y ait dans la conscience des différences, au lieu d’un complet équilibre et d’un état neutre ou indifférent. L’école anglaise a eu tort de prétendre que c’est la différence même qui constitue la conscience ; mais elle n’a pas eu tort de croire que la différence est nécessaire à la conscience distincte et réfléchie. Hobbes, Mill et Bain répètent : Sentire semper idem et non sentire ad idem recidunt ; et Spencer dit à son tour : « Une conscience uniforme est une absence totale de conscience[1]. » Mais il n’est pas exact qu’un son uniforme, entendu par nous depuis le premier instant de notre vie jusqu’au dernier, ne serait nullement senti et ne produirait pas son effet dans notre conscience générale, dans notre cœnesthésie ; seulement, il ne serait pas distingué, perçu à part, pensé et connu. Une céphalalgie continue et uniforme ne « reviendrait pas au même » que l’absence de douleur ; il n’y aurait pas besoin de la comparer pour la sentir, mais seulement pour la penser. La différence étant ainsi nécessaire à la distinction ou différenciation, il faut, pour qu’elle se produise, qu’il n’y ait pas sur tous les points de la conscience neutralisation mutuelle et équilibre. Il faut, par exemple, que sur le fond commun un plaisir se détache, une douleur, une sensation quelconque. Psychologiquement, nous n’avons jamais à la fois un état de conscience distinct et son contradictoire, car alors il y aurait composition mutuelle et indistinction. La conscience d’une douleur est incompatible avec le plaisir correspondant, et un plaisir distinct est incompatible avec la douleur correspondante. Notre

  1. Cf. Ribot, les Maladies de la volontés : « La conscience est essentiellement discontinue. Une conscience homogène et continue est une impossibilité. » (P. 132).