Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
344
revue philosophique

III

Les propriétés de la matière ne lui sont pas toutes inhérentes.

Ce deuxième point est pour ainsi dire déjà démontré. Il est clair que les propriétés du phosphore, puisqu’elles sont variables, lui sont fournies d’autre part ; elles lui viennent de la manipulation à laquelle on le soumet. Sans doute, cette manipulation appliquée au soufre, par exemple, n’en ferait pas du phosphore. Le fond de la substance travaillée a donc une certaine nature propre qui la différencie des autres substances. Quelle est cette nature ? Il n’est pas possible de le dire ; elle nous apparaît seulement comme une certaine aptitude à changer d’une certaine façon. De sorte qu’il nous est interdit d’atteindre l’immuable. Nous venons de le dire, l’immuable est une conception, et non un objet de l’expérience. Il nous plaît de croire que l’oxygène de l’air est le même que celui de l’eau, que celui de l’acide carbonique ou de la potasse, que celui du sang ; mais, à ne consulter que les faits, nous serions conduits à l’affirmation directement opposée. Une simple question : Quand il est uni au potassium, a-t-il encore de l’affinité pour l’hydrogène ? Personne n’oserait répondre oui. Pourtant — notre éducation est ainsi faite — l’affinité pour l’hydrogène nous paraît être une des marques caractéristiques de l’oxygène. En réalité, il n’en est rien : l’oxygène de la potasse n’a nulle envie de s’unir à l’hydrogène.

Pour que l’oxygène ait de l’affinité pour l’hydrogène, il faut une première condition : on ne doit pas laisser à sa portée un corps pour lequel il manifeste plus d’affinité encore, car sinon il sortira même d’une combinaison avec l’hydrogène pour s’unir à ce corps. C’est ce que lui fait faire le potassium.

Il suit de là que l’affinité et la répulsion sont au moins autant des résultantes que des propriétés. Supposons pour un instant qu’il existe quelque part un monde sans carbone. Les chimistes qui l’habitent y ont dressé la liste des corps simples, décrit leurs propriétés, leurs affinités et leurs répugnances, en vue d’expliquer toutes les réactions dont ils sont les témoins. Mais voilà que tout à coup, dans ce monde, le carbone fait son apparition. Quel bouleversement ! Toutes où presque toutes les réactions se défont ; les corps qui s’affectionnaient le plus se repoussent, et des unions séculaires se rompent. C’est