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moins dense. C’est ce qui nous explique enfin que les formes les plus stables sont aussi les plus denses.

Cela compris, on voit d’un coup ce qu’est la nature. C’est une collection infinie de composés plus ou moins stables. Nous rapportons à la nature brute les combinaisons relativement stables ; à la nature vivante, les composés essentiellement instables.

Mais l’exercice de la vie et de la sensibilité et de L’intelligence augmente sans cesse l’une des sommes au détriment de l’autre : toute sensation, toute pensée, toute volition sont accompagnées d’une précipitation d’instable à l’état stable. Je ne serais même pas éloigné de croire que le cerveau n’est, pour une grande partie de sa masse, autre chose qu’une accumulation de matière instable qui, dans le cours de la vie, reçoit son emploi. De là cet affaiblissement des facultés intellectuelles et actives à partir d’un certain âge. Par là s’expliquent la paralysie progressive, la démence des vieillards, la tendance de plus en plus marquée, même chez les esprits distingués, à repousser les idées nouvelles et à réserver leur estime uniquement pour le passé. J’espère avoir un jour l’occasion de revenir plus amplement sur ce sujet.

En thèse absolue, aucune combinaison ne se défait qu’en donnant naissance à d’autres combinaisons plus indéfectibles ou d’une plus grande masse de produits similaires. Si nos hauts fourneaux vont jusqu’à décomposer l’acide carbonique, c’est au prix de la formation d’une autre quantité énorme d’acide carbonique. C’est là tout le secret de la chimie.

C’est là aussi tout le secret de la chlorophylle, c’est à-dire de la substance verte des feuilles, elle qui fait sans peine ce que notre science n’a encore pu obtenir, elle qui sait rendre au carbone sa mobilité perdue, qui sait le refondre en un nouveau corps, le revivifier, en un mot le remettre en état de servir de nouveau à l’exercice de la sensibilité et de la pensée. Et où la chlorophylle va-t-elle puiser ce pouvoir singulier ? Nous n’en savons rien ; nous savons seulement qu’elle utilise la lumière et la chaleur du soleil, c’est-à-dire les forces disponibles du plus puissant des laboratoires.

Qu’on n’aille donc pas s’imaginer que le charbon mis en liberté par la chlorophylle soit du diamant, du graphite ou du carbone amorphe. Pas le moins du monde. Au moment où il se dégage de l’oxygène avec lequel il était lié, il possède des propriétés que ces trois corps n’ont plus ; il est mobile, redevenu apte à entretenir la vie et la pensée, tandis que le diamant, le graphite, le carbone amorphe sont, sous cette forme et à la température ordinaire, réfractaires à toute combinaison vivante. Certes, nos fourneaux sauront leur