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DELBŒUF. — la matière brute et la matière vivante

rendre quelques propriétés, par exemple celle de se combiner à l’oxygène ; mais les conditions où nous opérons la combustion du carbone sont elles-mêmes antipathiques à la vie.

Ce que le chimiste appelle l’état naissant des corps constitue bel et bien un état spécial qui se caractérise par la mobilité, par la facilité à former toute espèce d’unions, par la fécondité.

Bien que la science ait aujourd’hui identifié, peut-on dire, la chimie inorganique et la chimie qu’on désignait naguère encore sous le nom d’organique, on aurait tort de croire que la chimie des corps organisés et vivants soit la même que celle de nos laboratoires.

Dans son travail intitulé Le problème de la physiologie générale[1], Cl. Bernard, après avoir parlé de la chimie vivante, s’exprime ainsi :

« Dans l’ordre mécanique où physique, les phénomènes de l’organisme vivant n’ont rien non plus qui les distingue des phénomènes mécaniques ou physiques généraux, si ce n’est les instruments qui les manifestent.

« Le muscle produit des phénomènes de mouvement, comme ceux des machines inertes.

« Les êtres vivants produisent de la chaleur qui ne diffère en rien de la chaleur engendrée dans les phénomènes minéraux.

« Les poissons électriques forment ou sécrètent de l’électricité qui ne diffère en rien de l’électricité d’une pile mécanique.

« Il n’y a donc en réalité qu’une physique, qu’une chimie et qu’une mécanique générales, dans lesquelles rentrent toutes les manifestations phénoménales de la nature, aussi bien celles des corps vivants que celles des corps bruts. Tous les phénomènes, en un mot, qui apparaissent dans un être vivant, retrouvent leurs lois en dehors de lui, de sorte qu’on pourrait dire que toutes les manifestations de la vie se composent de phénomènes empruntés, quant à leur nature, au monde cosmique extérieur, mais possèdent seulement une morphologie spéciale, en ce sens qu’ils sont manifestés sous des formes caractéristiques et à l’aide d’instruments physiologiques spéciaux. Sous le rapport physico-chimique, la vie n’est donc qu’une modalité des phénomènes généraux de la nature ; elle n’engendre rien, elle emprunte ses forces au monde extérieur et ne fait qu’en varier les manifestations de mille et mille manières. »

Ce passage, selon la manière dont on l’interprète, en dit moins et plus qu’il ne faut. Qu’entend Claude Bernard par des phénomènes généraux ? par cette physique, cette chimie, cette mécanique géné-

  1. Voir La science expérimentale, 2e édition, p. 115 et suiv. (Le problème de la physiologie générale.)