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DELBŒUF. — la matière brute et la matière vivante

cause autant un dépôt en nous de substances narcotiques, nées de l’activité diurne, que l’épuisement des tissus ? Raisonnant par analogie, ne pourrait-on pas croire que le vaccin, par exemple, s’oppose par sa fixité au développement du virus de la petite vérole ? Enfin les microbes atténués et comme endormis de M. Pasteur ne font peut-être qu’empêcher l’envahissement de la place par des microbes plus actifs. Cependant dans ces résidus il reste quelque chose de leur origine, et le chimiste lui-même, avec les faibles ressources dont il dispose, sait retrouver en eux des étincelles de vie ; il sait leur rendre en partie leur mobilité, la faculté de repasser de nouveau par une série d’états de plus en plus stables. Qu’est-ce, par exemple, que le phosphore rouge, sinon un phosphore plus stable que le phosphore blanc, plus rétif à se combiner, c’est-à-dire à quitter sa manière d’être pour en prendre une autre. Mais, si nous voulons le combiner avec des corps dont le phosphore blanc est avide, nous devons au préalable le retransformer en phosphore blanc, et cela nous savons encore le faire.

C’est à cette même manière d’envisager les choses que mon collègue et ami W. Spring vient d’être conduit par l’expérience.

Depuis longtemps il s’occupe de soumettre des corps en poussière à des pressions énormes pour déterminer jusqu’à quel point ils sont susceptibles de se souder en une masse compacte et unie. Du même coup, il leur a fait prendre des états allotropiques. Or il ressort de ses essais que tous les corps prennent sous pression la forme qui correspond toujours au maximum de densité. C’est ainsi que l’arsenic amorphe devient de l’arsenic métallique ; que le soufre amorphe, plastique ou prismatique passe toujours à l’état octaédrique..

Si l’on comprime des mélanges de corps différents, la combinaison se fait toujours, quand elle doit avoir une densité plus grande que celle du mélange ; elle ne se fait jamais dans le cas contraire.

Le carbone amorphe n’a pas réagi, bien que mélangé avec des substances qui produiraient une combinaison plus dense. La conclusion saute aux yeux. C’est que, dans ces combinaisons, le carbone entre sous une forme moins dense qu’à l’état isolé. C’est ce que prouve d’ailleurs la chaleur spécifique du carbone combiné, qui est plus grande que celle du carbone isolé. Or la chaleur spécifique est en raison inverse de la densité.

De même, le phosphore rouge, plus dense que le phosphore blanc, ne se combine pas sous pression avec le soufre : ce qui montre encore que le phosphore, à l’état combiné, est un autre phosphore que le phosphore rouge.