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rales, dans lesquelles rentrent toutes les manifestations phénoménales de la nature ? Que veut bien dire cette vie qui n’est qu’une modalité des phénomènes généraux de la nature ? S’il veut nous assurer que la vie est un phénomène naturel, et que les phénomènes chimiques et physiques manifestés par les corps vivants sont des phénomènes chimiques et physiques, rien n’est plus vrai ; c’est même trop vrai. Mais, s’il comprenait par phénomènes généraux de la nature les phénomènes qui se montrent dans nos piles, nos creusets et nos fourneaux, et si pour lui, ces appareils ne différaient que matériellement des muscles, de l’estomac ou des poumons, rien ne serait plus faux.

Je suis loin de soutenir qu’il y a un abîme infranchissable entre les corps organisés et ceux qui ne le sont pas. Mais, au lieu d’assurer que « la vie n’est qu’une modalité des phénomènes généraux de la mature, qu’elle n’engendre rien, et qu’elle emprunte ses forces au monde extérieur », je regarde, au contraire, la chimie inorganique comme un cas particulier de la chimie vivante. Les corps vivants, en empruntant des éléments au monde extérieur, ne font en cela que reprendre leur bien, leur produit.

C’est un simple renversement de termes, mais ce renversement est significatif, Du repos on ne tire pas le mouvement, ni de l’homogène l’hétérogène, ni de l’obscurité la lumière, ni de la mort la vie. C’est le mouvement qui finit par le repos, la variété qui aboutit à la simplicité, la lumière qui s’éteint, la vie qui meurt. Sans doute la vie sait rendre à ce qui est mort ses facultés vivantes. Mais le commerce de la mort avec la mort n’engendre pas la vie. Nous pouvons tuer l’albumine en la coagulant ; mais nous aurons beau ensuite la mélanger avec des cadavres comme elle, la diviser, la dissoudre, la filtrer, l’attaquer par nos acides et nos alcalis, rien n’y fera ; nous tentons une œuvre impossible. Mais cette œuvre, un champignon, une monère sauront l’accomplir.

La chimie actuelle, la chimie des laboratoires est donc la chimie des stables, la chimie des corps amortis et paralysés, la chimie des résidus excrémentitiels des corps vivants. L’exercice de toute action vitale produit de ces résidus. C’est pourquoi, sans doute, tous ou presque tous incommodent, entravent ou détruisent la vie. Que de désordres dans l’organisme du moment que les tissus trop paresseux n’ont plus la force d’éliminer les produits des sécrétions ! Nous voyons une injection d’acide lactique engourdir le muscle, sans doute parce que l’acide lactique est un produit de l’activité musculaire. L’acide carbonique nous asphyxie, parce qu’il est aussi le produit de la respiration. Et le sommeil lui-même n’aurait-il pas pour