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FOUILLÉE. — causalité et liberté

du dehors et réaction du dedans, ont leur point commun dans la cellule centrale. Une excitation sans réaction, une réaction sans excitation, c’est ce qui ne s’est jamais vu et ne se verra jamais ; il y a là une dualité inévitable, qui vient de ce que le mouvement reçu doit être restitué sous une forme ou l’autre, ne pouvant être anéanti : l’irritabilité entraîne donc la contractilité. Cette dualité doit s’exprimer dans la conscience centrale par un avant et un après, par un sentiment constant de succession entre l’action et la réaction ; quand nous sentons l’une, nous cherchons l’autre immédiatement. Nous ne faisons que traduire le mouvement réflexe en formule logique lorsque nous disons : Toute passivité suppose une activité, tout effet suppose une cause, tout changement suppose un changement antécédent et un changement conséquent. Les trois éléments du temps sont réalisés dans l’arc réflexe : le présent est dans la cellule centrale, le passé est dans la première moitié de l’arc parcouru par l’excitation, l’avenir est dans la seconde moitié parcourue par la réaction. Il y a donc toujours dans la sensation présente retentissement de l’excitation passée et anticipation de la réaction future. Chaque sensation ressentie est comme un corps qui aurait toujours deux ombres, l’une devant soi, l’autre derrière soi. On peut dire encore que la première moitié de l’arc est l’antécédent, la seconde le conséquent, et que le rapport, le passage de l’un à l’autre s’établit dans la cellule centrale, qui arrive ainsi à concevoir toujours un antécédent et un conséquent. Le canal une fois creusé, le flot intérieur ne peut plus ne pas le suivre, ni même concevoir qu’il ne le suive pas.

Le mouvement réflexe, à son tour, n’est qu’un cas des lois générales du mouvement ou du choc. Il n’y a point de choc ou d’action sans réaction, de pression sans résistance, de résistance sans pression, de passivité relative sans activité relative. Antécédent et conséquent, c’est donc coup reçu et rendu, ou, en un seul mot, mouvement se propageant et se conservant. Vivre, c’est sentir le mouvement : penser, c’est se représenter le mouvement dans sa source initiale, qui est le changement interne, la succession interne, le passage perpétuel de l’antécédent au conséquent, de la sensation du mouvement reçu à la sensation du mouvement restitué. Sensibilité et motricité, voilà le fond de la conscience. Les idées d’antécédent et de conséquent, de cause et d’effet, n’en sont que les symboles abstraits. Dire que tout a une cause, c’est encore dire : Je suis ce que je suis, à savoir un être qui sent le mouvement et restitue le mouvement, et qui conséquemment ne conçoit rien en dehors de sentir et mouvoir, pâtir et réagir. Quand l’une de ces conceptions