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surgit, l’autre surgit aussitôt dans la conscience, dont elles sont pour ainsi dire les deux moitiés inséparables. L’association indissoluble de ces deux idées n’est pas accidentelle, comme celle de tel phénomène particulier avec tel autre ; elle est la forme générale de toute conscience vivante, qui ne s’évanouit qu’avec la conscience même. Sur ce thème fondamental et continu on peut broder toutes les harmonies imaginables ; on retrouvera toujours au fond le même accord essentiel, présent et avenir, souvenir et attente, antécédent et conséquent, cause et effet, c’est-à-dire, au fond sensation (agréable ou pénible) et mouvement (pour retenir ou pour écarter l’objet).

De la même manière, à la fois psychologique et physiologique, s’explique la seconde affirmation contenue dans le principe des lois : les mêmes phénomènes succèdent aux mêmes phénomènes.

En effet, toute différence qui se produit dans des phénomènes, par exemple un son subit au milieu du silence, est elle-même un phénomène ; elle doit donc avoir, en vertu du principe de succession, un antécédent. Donc, une différence de conséquents implique une différence d’antécédents, et l’identité des antécédents, au contraire, entraîne l’identité des conséquents.

C’est ce qu’on exprime vulgairement en disant que les mêmes causes produisent les mêmes effets, ce qui signifie que des mêmes lois dérivent les mêmes phénomènes, ou que les lois de la nature sont uniformes.

Il en résulte qu’un phénomène ne succède pas indifféremment à n’importe quel autre phénomène, mais à un phénomène déterminé, toujours le même, à la fois nécessaire et suffisant pour que l’autre se produise. De là ce qu’on nomme le déterminisme de la nature, qui n’est que la projection nécessaire du déterminisme de notre conscience, où chaque phénomène succède à un autre et où la différence succède à une différence, le changement à un changement, etc.

Si les deux actes les plus élémentaires de la pensée distincte sont la conscience de la différence et la conscience de la ressemblance, la science tout entière n’est que la synthèse de ces deux opérations, la plus grande ressemblance possible dans le plus grand nombre possible de différences. Le principe d’uniformité des lois, synthèse de l’axiome d’identité et du principe de succession, exprime la structure psychologique et physiologique de la pensée.

C’est en ce sens qu’on peut dire, sans invoquer avec Wundt la métaphysique de l’inconscient, qu’il existe pour la pensée une identité fondamentale entre le raisonnement et le mouvement, entre la logique et la mécanique, entre le déterminisme des pensées et le déterminisme des mouvements. Il n’y a de science que du mou-