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TARDE. — l’archéologie et la statistique

la philologie de chaque mot ; une archéologie juridique, politique, ethnologique, artistique enfin et industrielle, qui consacre pareillement à chaque idée ou fiction de droit, à chaque institution, à chaque trait de mœurs, à chaque type ou création de l’art, à chaque procédé de l’industrie, et à sa puissance propre de reproduction exemplaire, un article séparé ; autant de sciences distinctes et florissantes. Mais il faut nous contenter jusqu’ici, en fait de statistiques vraiment et exclusivement sociologiques, de la statistique industrielle et commerciale, et de la statistique judiciaire, sans parler de certaines statistiques hybrides, qui chevauchent à la fois sur le monde physiologique et le monde social, statistique de la population, de la natalité, de la matrimonialité, de la mortalité, statistique médicale, etc. De la statistique politique nous n’avons qu’un germe, sous forme de cartes électorales. Quant à la statistique religieuse, qui aurait à nous figurer graphiquement le mouvement annuel de la propagation relative des diverses sectes, et les variations en quelque sorte thermométriques de la foi de leurs adhérents ; quant à la statistique linguistique, qui devrait nous chiffrer non seulement l’expansion comparée des divers idiomes, mais, dans chacun d’eux, la vogue ou le déclin de chaque vocable, de chaque forme du discours ; nous craindrions, en parlant plus longtemps de ces sciences hypothétiques, de faire sourire le lecteur.

Mais nous en avons assez dit pour justifier cette assertion, que le statisticien envisage les faits humains du même point de vue que l’archéologue, et que ce point de vue est conforme au nôtre. — Résumons-le en deux mots, au risque de le mutiler en le simplifiant, avant d’aller plus loin. Au milieu de ce pêle-mêle incohérent des faits historiques, songe ou cauchemar énigmatique, la raison cherche en vain un ordre et ne le trouve pas, parce qu’elle refuse de le voir où il est. Parfois elle l’imagine, et, concevant l’histoire comme un poème dont un fragment ne saurait être intelligible sans le tout, elle nous renvoie pour l’intelligence de cette énigme au moment où les destinées finales de l’humanité seront accomplies et ses origines les plus reculées parfaitement connues. Autant vaut répéter le fameux mot : Ignorabimus. Mais regardons par-dessous les noms et les dates, les batailles et les révolutions, que voyons-nous ? Des désirs spéciaux, provoqués ou surexcités par des inventions ou des initiatives pratiques dont chacune apparaît en un point et rayonne de là incessamment comme une sphère lumineuse, s’entre-croisant harmonieusement avec des milliers d’ondulations analogues dont la multiplicité n’est jamais de la confusion ; et aussi des croyances spéciales, apportées par des découvertes ou des conjectures théoriques,