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quement sont des qualités internes, des croyances et des désirs, et que bien souvent, à nombre égal, les actes chiffrés par eux expriment des poids très différents de ces choses. À certaines époques de notre siècle, le nombre des entrées dans les églises est resté le même pendant que la foi religieuse allait s’affaiblissant ; et il peut arriver que, lorsqu’un gouvernement est frappé dans son prestige, l’affection de ses adhérents soit à moitié détruite, quoique leur chiffre ait à peine décru, comme on le voit par les scrutins à la veille même d’un effondrement subit : d’où une cause d’illusion pour ceux que les statistiques électorales rassureraient ou décourageraient plus que de raison.

Les imitations réalisées sont nombreuses ; mais qu’est-ce auprès des imitations désirées ! Ce qu’on appelle les vœux d’une population, d’une petite ville par exemple ou d’une classe à un moment donné, se compose exclusivement de tendances, par malheur irréalisables encore, à singer de tous points telle autre ville plus riche ou telle classe supérieure. Cet ensemble de convoitises simiennes constitue l’énergie potentielle d’une société. Il suffira pour la convertir en énergie actuelle, d’un traité de commerce, d’une’découverte nouvelle « et aussi bien d’une révolution politique, qui rende accessibles à des bourses moindres ou à des capacités moindres tel luxe ou tel pouvoir réservé naguère à d’heureux privilégiés de la fortune ou de l’intelligence. Elle a donc une grande importance, et il serait bon de se tenir au courant de ses variations en plus et en moins ; cependant la statistique habituelle ne paraît pas s’en inquiéter et jugerait ce tourment ridicule, bien que, par maints procédés indirects, l’évaluation approximative de cette force puisse parfois être à sa portée. — À cet égard, l’archéologie se montre supérieure dans les informations que nous lui devons sur les sociétés ensevelies ; « car, si elle nous renseigne avec moins de détail et de précision sur leur activité, elle nous peint plus fidèlement leurs aspirations. Une fresque de Pompéi nous révèle beaucoup mieux l’état psychologique d’une ville de province, sous l’empire romain, que tous les volumes de statistique ne nous font connaître les vœux actuels d’un chef-lieu de département français.

Ajoutons que, née d’hier, la statistique n’a-pu encore émettre toutes ses branches, tandis que sa collaboratrice, plus ancienne, s’est déjà ramifiée dans tous les sens. Il y a une archéologie linguistique, la philologie comparée, qui nous monographie à part chaque racine et sa destinée, caprice verbal d’une bouche antique indéfiniment reproduit et multiplié par le conformisme frappant d’innombrables générations ; une archéologie religieuse, la mythologie comparée, qui traite à part de chaque mythe et de ses éditions imitatives sans fin, comme