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TARDE. — l’archéologie et la statistique

cipales croyances, anciennes ou nouvelles ; ou, ce qui est unum et idem, des familles d’actes, exemplaires d’un même type, qui expriment ces forces internes avec plus ou moins d’exactitude. — À cela peut servir surtout la statistique commerciale et industrielle, qui devient si intéressante quand on la regarde sous cet angle. Chaque article fabriqué ou vendu ne répond-il pas, en effet, à un besoin spécial, à une idée particulière ? Les progrès de sa vente et de sa fabrication dans un temps et un lieu donnés ne traduisent-ils pas sa force motrice, c’est-à-dire sa vitesse de propagation, ainsi que sa masse en quelque sorte, c’est-à-dire son importance ? La statistique de l’industrie et du commerce est donc le fondement principal de toutes les autres. Ce qui vaudrait mieux encore, si la chose était praticable, ce serait l’application sur une plus large échelle aux vivants de la méthode d’investigation que l’archéologie se permet à l’égard des morts : Je veux dire l’inventaire précis et complet, maison par maison, de tout le mobilier d’un pays et des variations numériques de chaque espèce de meuble année par année, Excellente photographie de notre état social, à peu près comme, en inventoriant avec le soin que l’on sait le contenu des tombeaux, de la demeure des morts, en Égypte, en Italie, en Asie Mineure, en Amérique, partout, les fouilleurs du passé se sont trouvés nous avoir fourni la meilleure image des civilisations éteintes. — Mais, à défaut du recensement inquisitorial que j’imagine et des maisons de verre qu’il suppose, la statistique du commerce et de l’industrie complétée et systématisée, la statistique de la librairie notamment, qui nous révèle les changements survenus dans la proportion relative des catégories de livres publiés chaque année, suffit déjà à nous procurer les données dont nous avons besoin. La statistique judiciaire ne vient théoriquement qu’après, et il faut convenir que, malgré son intérêt plus profond, d’un genre différent, elle lui est inférieure encore sous un autre rapport. Les unités qu’elle additionne manquent de similitude. On me dit que cette forge a fabriqué cette année 1 million de rails d’acier, que cette manufacture a reçu 10 000 balles de coton ; voilà des unités semblables, se référant à des besoins semblables. Mais on a beau détailler les vols, par exemple, ou les procès de servitude en classes et sous-classes, on ne parvient jamais à ne pas grouper ensemble des actes assez dissemblables, inspirés par des besoins et des idées différents, d’origine distincte, et se rattachant de la sorte à de multiples familles d’actions. Tout au plus pourrait-on faire une colonne séparée pour les assassinats de femmes coupées en morceaux, ou pour les empoisonnements par la strychnine, et autres forfaits de récente invention qui font réellement groupe et constituent