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LES THÉORICIENS MORALISTES

ET LA MORALITÉ


I

La feuille de papier où sont inscrits l’effectif et les éléments d’une armée, le projet même d’organisation d’une armée, ne se confondra jamais dans l’esprit de personne avec l’idée de « l’organisation véritable de cette armée » ; la feuille de papier gardera tout ce qu’on écrira dessus ; le projet est vite fait avec un peu d’imagination, il s’en faut que l’organisation elle-même soit une chose aussi aisée.

Une personne, même philosophe, ne s’imaginera pas non plus qu’il lui suffise au sortir d’une leçon de physiologie d’entrer dans le laboratoire d’un anatomiste, de prendre ses préparations, de les emporter chez elle, pour avoir le droit d’espérer jamais refaire un être vivant, avec des fragments de cadavre d’une part et les théories physiologiques de l’autre.

Personne en d’autres termes ne s’avisera de confondre les matériaux ou les conditions de la vie, telles que nous les pouvons connaître, avec la vie elle-même.

Ces deux confusions et d’autres du même genre paraissent si improbables, que les déclarer impossibles est presque une naïveté. Confusion toute semblable est pourtant faite fréquemment, dans des études, il est vrai, où elle s’invite d’elle-même à l’esprit. En effet, dans les questions si délicates de psychologie morale, on est bien long à s’accoutumer à la distinction de la morale et des théories morales. Je veux insister d’abord sur une distinction aussi importante. On verra ensuite combien elle était nécessaire pour une saine appréciation du débat qui paraît subsister entre deux écoles de philosophie morale.