Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
386
revue philosophique

II

Le mot déterminisme désigne l’expression la plus générale d’un sentiment auquel ne peut résister un esprit curieux de connaître : car que signifierait son désir de savoir, sans sa foi à des lois constantes qui régissent les changements des choses ? Les lois à la connaissance précise desquelles l’esprit humain est parvenu ne sont vraisemblablement que des lois d’ébauche ; mais fût-il condamné à n’en jamais contempler d’autres, absolues, il ne peut s’empêcher de déclarer qu’elles existent.

Le déterminisme a attiré surtout l’attention, du jour où l’on a vu combien il modifiait profondément les théories morales ; je dis les théories, et non pas la morale.

Comme doctrine en effet, il est la négation même du libre arbitre.

Les mots de volonté, de liberté ont pourtant une signification en gros acceptée par la langue courante celle-ci ne radote pas tout à fait, et ces mots, si souples parfois, renferment un sens positif. Je crois même que, sans la torture que ces mots ont eu à subir dans la bouche de certains métaphysiciens, le bon sens commun se serait toujours entendu sur leur valeur. On se souvient de la facétie de Voltaire, qui prétendait prouver son libre arbitre en priant une personne de dire de quel côté il cracherait et en crachant du côté opposé.

Pour moi, je ne vois dans le fait de cracher à droite et à gauche rien d’assez obscur pour me croire obligé de traduire le fait en langage métaphysique. Ce que Voltaire appelle sa résolution de cracher d’un certain côté dépend de causes parfaitement définies, quoiqu’il nous soit très difficile de les détailler ; elles sont cachées et confuses, comme sont d’ailleurs nos vagues états de conscience qui sans avoir la netteté des idées n’en concourent pas moins à la formation de nos idées.

C’est précisément quand nos idées déjà formées veulent entreprendre la conquête de nouvelles idées que s’élabore le mystérieux travail par lequel l’intelligence s’assimile sans en perdre aucune nos sensations les plus inconscientes, les coordonna et en fait sortir l’idée consciente d’elle-même ; mais bien souvent la-coordination n’aboutit pas et nous restons dans l’ignorance ; notre confusion, devant des causes que nous pressentons sans pouvoir les voir, assez, semblable à l’angoisse d’un homme qui attend le cou de son ennemi dans la