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que des croyances métaphysiques. La science n’étudie que les phénomènes et leurs rapports, soit d’identité, soit de succession identique. Elle ne cherche pas à pénétrer dans la nature même des termes entre lesquels elle établit des rapports, dans le fond même des objets correspondant à nos représentations. Au contraire, la métaphysique s’efforce de concevoir ce fond. Or, elle ne peut encore le concevoir que par analogie avec nous-mêmes et avec ce que nous trouvons dans notre propre conscience. De là les analogies directrices de la métaphysique. Trouvant en nous l’intelligence, nous supposons en toutes choses l’intelligibilité ; trouvant en nous la volonté, nous supposons en toutes choses une causalité efficiente (bien différente de la causalité empirique) ; trouvant en nous la sensibilité et le désir, nous supposons en toutes choses, sous le nom trompeur de finalité, un effort immanent pour retenir le plaisir et écarter la peine. Enfin, pour achever de faire toutes choses à notre image et à notre ressemblance, nous supposons partout quelque chose de permanent comme l’est notre conscience même, et nous l’appelons substance : la substance n’est que la grande ombre de la conscience projetée sur l’univers. Ainsi sont nés tous les prétendus axiomes des métaphysiciens : 1o axiome d’universelle intelligibilité ou de raison suffisante ; 2o axiome des causes efficientes ; 3o axiome des causes finales ; 4o axiome des substances.

II. Après avoir fait la genèse du principe de causalité scientifique, nous devons chercher jusqu’à quel point on a réussi à concilier le libre arbitre avec cette loi constitutive de toute pensée, laquelle se déduit elle-même des lois de toute sensation et de toute motion.

La négation du principe de causalité scientifique, tel que nous venons de l’établir, est déguisée sous l’ambiguïté des termes et sous l’inconséquence des raisonnements dans le spiritualisme traditionnel, qui admet une même cause, la volonté, produisant des effets opposés sous les mêmes conditions. Lui demande-t-on d’expliquer un acte déterminé, le spiritualisme répond que cet acte n’est pas sans cause, puisqu’il a pour cause la volonté. Mais, peut-on dire, quand on vous demande d’expliquer tel acte, on parle de cette loi des phénomènes, seule explicative, qui veut que tout conséquent déterminé soit lié à des antécédents déterminés, nécessaires et suffisants, capables de l’expliquer et de le spécifier dans le détail, au lieu d’être lié seulement à un antécédent ambigu, général et transcendant, comme la volonté. Le spiritualisme, lui, se contente d’expliquer l’action en général par une cause générale et d’ailleurs inconnaissable : l’entité-volonté ; mais il n’explique pas telle action, tel phénomène ;