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ANDRADE. — les théoriciens moralistes

décision se fait par l’intermédiaire de prévisions plus moins intelligentes et dont nous disons que l’action est le résultat ; mais, au moment même où la décision se transforme en action, je ne récapitule plus les motifs de mon choix, alea jacta est, j’agis dans telle direction, et j’éprouve le sentiment que je coure un risque, mais qu’il est inévitable de le courir ; ne serait-ce « pas cette émotion de la suprême attente qui constituerait notre personnalité consciente. Cette émotion, variable en degré de vie, d’un homme à un autre, qui constitue la volonté active, est distincte de l’intelligence, mais est dans un certain rapport avec elle. Car s’il est clair d’une part que deux hommes ou simplement le même homme en deux époques différentes de sa vie n’auront pas devant deux obstacles également bien perçus par l’intelligence le même élan pour les affronter, il n’est pas moins évident d’autre part qu’une plus grande intelligence ou une meilleure vue des obstacles ne donne à la volonté que plus d’occasions de s’y heurter : une forte volonté s’excitant davantage devant un nouvel obstacle, une volonté faible renonçant à s’élancer dans l’action après la découverte d’un nouvel obstacle.

Envisagé au point de vue psychologique et conformément au déterminisme de la nature, ce que nous appelons volonté est la simple coordination consciente de nos désirs. Simple veut dire, non que cette coordination ne nous doive paraître admirable dans son mystère, mais qu’au point de vue d’une observation exacte intérieure et extérieure la volonté n’est pas autre chose que nos sensations constituées en une sorte d’unité ; l’analyse scinde le moi en fragments de moi ou sensations, à peu près comme le physiologiste analyse l’animal en cellules vivantes à peu près aussi mystérieuses que l’animal lui-même. À l’heure où le « moi » fait de la science ou de la philosophie, il se prête à cette analyse, et il la fait lui-même, mais il s’y refuse à l’heure de l’action.

À tout bien considérer, la sensation, élément de conscience, est un phénomène moins simple que le « moi », et les partisans de la liberté idéale ont raison de refuser leur « activité morale » à la philosophie naturelle ; mais ils ne remarquent pas assez que la philosophie naturelle elle-même arrête ses explications à la conscience. En somme, les uns et les autres sont au fond d’accord, car leurs inconnues irréductibles sont bien les mêmes. Pour un philosophe évolutionniste, qu’est-ce qu’un individu ? C’est une partie du grand tout, dégagée pour un moment du grand tout : organisation passagère formant un tout par elle-même.

Pour lui, c’est une erreur de croire que le sort de l’individu dépend uniquement de l’extérieur, c’est une erreur égale de croire qu’il ne dépend que de lui-même. Il ne peut concevoir l’individu autrement