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j’admets toutes les affirmations de M. Fouillée à l’heure de l’action, je ne les admets pas à l’heure de philosopher.

Tout homme qui agit ou se souvient d’avoir agi, s’il a à rendre compte de son action, le fera dans un langage qui se confondra toujours avec celui des philosophes de la liberté idéale, le langage ayant été créé pour l’action et non pas pour la philosophie. Il est parfaitement vrai qu’à l’heure de l’action, le sentiment de la personnalité humaine, de la nôtre propre du moins, a une puissance invincible ; mais je trouve, pour exprimer cette puissance émue d’elle-même, le mot de liberté tout à fait malheureux. Que l’homme d’action, ivre de vie, s’écrie : je suis libre ; il traduit son désir de l’être, et ce cri est encore de l’action ; mais le philosophe qui appelle liberté l’émotion que nous avons de la phase d’activité de notre vie consciente ouvre une porte très accessible aux malentendus et aux méprises. Le mot de liberté, dans les rapports des hommes les uns avec les autres, désigne une indépendance relative des hommes entre eux, qui, je l’ai dit plus haut, est comprise dans la notion même d’individu. Mais, en employant ce mot pour désigner notre activité individuelle et en lui tolérant un pouvoir créateur qu’on ne définit pas, je trouve qu’on apporte gratuitement une grande confusion dans le langage. :

Pour employer la comparaison de M. Fouillée lui-même, qui assimile notre individu à un petit cercle à peine visible, pressé de toutes parts par les grands cercles des lois naturelles, petit cercle qui a le pouvoir de rayonner autour de lui la vie et la puissance, je ferai remarquer à M. Fouillée que cette conception laisse encore, même au point de vue métaphysique, la question du libre arbitre non vulgaire absolument indécise.

Notre individu, assimilé à notre idéal de liberté, a-t-il une existence à lui ? Mais, si haut que nous voulions placer l’idée de la liberté idéale, cette idée n’est pas née toute formée dans notre cerveau, elle s’est développée, notre individu même varie d’un instant à l’autre, c’est peut-être un des plus beaux produits de la nature vivante. Mais sa beauté, perçue par nous, donne-t-elle le droit de le déclarer créateur ? Oui, créateur en ce sens qu’il est capable de sentir la force de vie qui circule en lui. Le débat sur l’individuation est réellement celui-ci : L’individu étant formé, peut-il, pour un certain temps du moins, se croire, dans sa petite sphère, indépendant de l’extérieur ?

Cette question a deux réponses suivant qu’on demande quelle sera la croyance de l’individu agissant ou de l’individu s’analysant.

Dans l’action, l’homme qui a conscience de son activité ne songe pas aux lois naturelles ; l’action était précédée de la décision ; cette