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ANDRADE. — les théoriciens moralistes

peler activité ou passivité n’a pour réponse que des hypothèses sans le moindre fondement. Ce qu’on peut savoir de plus général sur l’individu, c’est que sa vie consiste en un échange : il reçoit, transforme et rend la force de la nature, et l’on peut dire, en ce sens, que l’individu est actif et passif tour à tour. Pour les animaux supérieurs et pour l’homme, l’activité paraît consister dans la conscience croissante de leur vie, dans leur émotion de la vie pourrait-on dire. Les philosophes idéalistes ont raison d’insister sur cette phase d’activité ; mais ils doivent retenir que cette phase a pour corrélative une phase de passivité qu’on peut oublier d’autant plus aisément que ces dernières phases marquent des sommeils de la conscience. Mais discuter pour savoir si l’homme est tout actif ou tout passif paraît aussi fertile en résultats que la discussion de deux gamins que je vis un jour se prendre aux cheveux au bord de la mer. Gros mots et gifles avaient développé entre eux une grave controverse ; l’un des enfants affirmait que les vagues montent, l’autre qu’elles descendent ; tous deux avaient raison, mais tous deux se battirent.

M. Fouillée parle d’une conciliation entre la philosophie naturaliste et la philosophie de la liberté idéale : pourquoi les concilier ? Nous les pratiquons l’une et l’autre dans la vie. Il cherche une conciliation, parce qu’il voit une opposition entre notre idéal moral et le déterminisme de la nature. Mais il n’y a pas opposition du tout, ce sont deux phases du rythme de notre existence. Nous pratiquons l’idéal tous tant que nous sommes à l’heure où nous agissons, car tout homme qui agit attend au bout de ses efforts quelque chose qui va devenir.

Une chose viendra toujours ; mais sera-t-elle ce que le désir attendait, ce que l’effort croyait provoquer ? Pour peu que le désir soit vivace, le savant, comme l’ignorant retient son haleine ; quand il voit l’aiguille du temps s’arrêter sur l’heure qu’il a promise à son désir ; il tressaille, incertain malgré sa science si demain n’aura pas menti à ses prévisions ; il est ému, il vit ; cette émotion est à lui, et si, l’heure de l’action passée, il écrit un livre de philosophie, il pourra insister sur la grandeur, sur la sublimité de cette émotion et parler tout comme le fait M. Fouillée. Nous faisons tous, aussi, œuvre de science morale lorsque l’horloge du temps ayant sonné l’heure où était suspendu notre désir, lorsque, la destinée au lieu d’une caresse nous ayant donné un soufflet, nous comparons nos rêves à la réalité.

C’est à force d’avoir reçu de telles leçons que les métaphysiciens se sont transformés en savants, que les savants sont devenus plus savants. Tout ce qu’on peut dire, ç’est que notre ignorance devant être pour toujours infinie par rapport à notre science, nous sommes tous au