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ANDRADE. — les théoriciens moralistes

modifier non pas le sens moral d’une personne, mais seulement l’idée que cette personne se fait de son sens moral.

2o Le mot association d’idées est employé fréquemment dans la psychologie anglaise, mais pour faire image ; le mot véritablement préférable est « association d’états nerveux » or, parmi ceux-ci, beaucoup existent dont nous ne sommes pas conscients (les idées latentes de Maudsley). En se reportant, à ce que j’ai dit plus haut de la hiérarchie des fonctions nerveuses, on concevra comment les vertus acquises avec cet effort conscient que l’on nomme volonté, finissent par passer dans les régions des instincts, régions nerveuses qu’on peut appeler inférieures en songeant au progrès nerveux, mais qui sont bien réellement le grenier où nous entassons le fruit de nos conquêtes morales. Ce n’est qu’au moment de son acquisition qu’une habitude bonne, mais qui coûte, peut mériter le nom de vertu et comporter l’idée de mérite ; elle devient, une fois acquise, un pur instinct. Le mérite moral de l’agent à ses propres yeux, et aussi l’idée de bonne intention, celle de sincérité, sont les premières données du monde moral, et M. Guyau a raison de dire qu’elles ne sont pas anéanties par la psychologie anglaise. On n’en peut pas plus savoir sur ces premières émotions du moi qu’on n’en sait sur la sensation. Reconnaissons franchement cet inconnaissable, mais ne cachons pas notre ignorance en cherchant à nous donner le change à nous-mêmes avec les mots de libre arbitre.

L’école autonomiste souligne le mystère sans se lasser, et n’est à proprement parler qu’une admiration perpétuelle de l’émotion du moi,

Elle a son utilité, sa grandeur, mais ne s’oppose nullement à la morale évolutionniste.

Si, au lieu de se réunir et faire œuvre d’harmonie dans la pensée humaine, les deux écoles doivent se développer séparément, le vulgaire (je veux dire tout le monde à l’heure de l’action ou à l’heure de s’en souvenir) ne croira pas plus se contredire en voyant le tableau du monde moral présenté de l’une ou l’autre manière, qu’il ne croit se contredire aujourd’hui en sachant admirer et comprendre. À l’heure où nos petits-fils éprouveront la curiosité de savoir où se place le monde moral par rapport au grand tout de la nature, ils écouteront l’enseignement scientifique de l’école évolutionniste. À l’heure où ils voudront, lassés de l’ordre objectif des phénomènes naturels, se recueillir et goûter l’impression de la beauté intérieure de la conscience de soi-même, ils liront les pages éloquentes et poétiques des autonomistes de demain. Si demain comme aujourd’hui philosophie veut dire unité scientifique, la philosophie autonomiste ne sera pas une philosophie.